Moreno Burattini, scénariste de Zagor​

...grands auteurs de fumetti, Moreno Burattini, scénariste et principal auteur du célébrissime Za-gor-te-nay, qui a connu un succès retentissant et des ventes époustouflantes en Turquie dans les années 70 et 80,

Par Eren M.Paykal
Publié en Mai 2023

Chers lecteurs, je voudrais, avec mon article de ce mois, ouvrir le dossier des bandes dessinées, redevenues très populaires surtout grâce aux films réalisés au grand écran de héros américains (comics) ou francophones comme Astérix et Obélix. À côté de ces deux grands courants mondiaux dans le secteur, deux autres sont prépondérants, comme les mangas japonais, mais surtout les fumetti italiens.

Justement, j’ai l’immense honneur et plaisir d’accueillir sur nos pages l’un des doyens et grands auteurs de fumetti, Moreno Burattini, scénariste et principal auteur du célébrissime Za-gor-te-nay, qui a connu un succès retentissant et des ventes époustouflantes en Turquie dans les années 70 et 80, poussant même à la production de deux films turcs sur Zagor, les seuls films jamais réalisés sur ce personnage !

Eren Paykal : Cher Moreno, merci pour ta disponibilité et ta gentillesse de toujours. J’ai déjà eu l’occasion de t’accueillir à propos de l’un des albums de Zagor en turc. Mais c’était des années auparavant, sur un terrain de connaisseurs du personnage. Maintenant, la plupart des lecteurs découvriront peut-être pour la première fois Zagor. Que peux-tu nous dire sur ce personnage de fumetti tant aimé ?

Moreno Burattini : À mon avis, Zagor fait partie de ces personnages qui sont devenus partie intégrante de l'histoire de la bande dessinée et de la vie de générations entières de lecteurs de tous pays. Même ceux qui n'ont jamais suivi ses aventures le connaissent au moins par son nom et sont en mesure de l'identifier pour l'avoir vu sur les couvertures de livres lus par des parents ou des amis. De plus, il a longtemps été publié en France, et en Turquie, régulièrement réédité depuis le tout début des années 1960. En Italie, on a fêté son soixantième anniversaire en 2021, et le héros bénéficie d'un public nombreux malgré la crise de la presse écrite. L'Esprit à la Hache ‒ c'est le surnom sous lequel on le connaît aussi ‒ incarne des idéaux et des valeurs intemporels comme la défense des plus faibles, la lutte contre l'injustice, le maintien de la paix, l'égalité entre les races, et parvient à communiquer ses messages positifs d'une manière captivante, aventureuse et amusante.

Zagor est un personnage très populaire créé en 1961 par Sergio Bonelli, grand auteur de BD italiennes et gérant de la plus grosse maison d’édition italienne de BD, la Sergio Bonelli Editore (SBE), et par le grand dessinateur légendaire Gallieno Ferri. Quelles sont selon toi les raisons et le secret d’un tel succès qui dure depuis des décennies ?

Je crois que la « recette » du succès de Zagor, en plus de ce que je viens de souligner, réside avant tout dans le fait que ses aventures sont à la croisée des genres. Elles ne peuvent pas être étiquetées, c'est-à-dire considérées comme simplement du « western » : les ingrédients se mélangent et on ne peut jamais prédire si l'histoire qui succédera à l’actuelle proposera des thèmes d'horreur, de science-fiction ou d'exploration... Tout peut arriver, on a des éléments comiques ainsi que de la fiction historique. Toutes situations et tous sujets peuvent être abordés. C'est très stimulant pour les écrivains, les dessinateurs et les lecteurs. À cela s’ajoute le fait que le personnage a toujours été géré par une équipe d'auteurs passionnés et motivés, qui se sont mis au service du héros et de sa légende.

Les connaisseurs de Zagor savent qu’il est un protecteur des natifs américains, mais surtout qu’il est un justicier, indépendamment des races ou des classes sociales. Il est avant tout un défenseur des plus démunis. Quelle est selon toi l’idéologie, si j’ose dire, de Zagor ?

Sergio Bonelli a déclaré que la seule idéologie dont il avait doté son personnage était le bon sens. Suite à des événements dramatiques qui ont marqué sa vie, Zagor s'est donné la mission de peacemaker et réalise celle-ci avec détermination et courage au-delà de toute barrière idéologique. Dans un épisode célèbre de 1975, le samouraï Minamoto, qui semait le trouble avec une violence indicible parmi les tribus de Darkwood et qui glorifiait ce défi guerrier, croyait à tort affronter un adversaire similaire. L'Esprit à la Hache lui répondit : « Sans doute,  ma vie aussi est marquée par la violence, mais heureusement, il y a entre nous une différence infranchissable. Si je me bats, si je tue, c'est uniquement parce que la situation de ce pays merveilleux mais encore sauvage m'oblige à le faire ; et un jour que je l'espère proche, des lois justes, des esprits plus ouverts atténueront les points de friction entre les habitants de Darkwood et les conquérants blancs... Eh bien, à ce moment précis, je renoncerai sans aucun regret à mon image de guerrier et je jetterai volontiers dans les fleuves les plus profonds, cette hache que je considère actuellement comme un moyen désagréable mais indispensable d'obtenir ne serait-ce qu’un peu de justice ! » Dans le cœur de Zagor, mais c'est une chimère, il y a un fort espoir que dans son « royaume », il n'aura plus besoin de poursuivre sa mission.

Mis à part Zagor, la SBE a aussi un autre personnage très populaire : le ranger du Texas, Tex Willer. Quelle est la différence selon toi entre ces deux personnages ?

La différence entre Tex et Zagor est la même que celle qui existe entre les deux créateurs, Giovanni Luigi Bonelli et son fils Sergio : un homme solide le premier, plus réfléchi le second. Bonelli senior a projeté sa propre image dans Tex, celle de quelqu'un qui aurait été capable de redresser le monde si on lui en avait donné le droit. Tex est le meilleur et ne doute jamais de ses décisions. Bonelli fils, en revanche, propose des héros plus problématiques, qui conquièrent par la souffrance, respectent et essaient de comprendre leurs adversaires, allant même jusqu’à s’apitoyer sur le destin tragique d'un ennemi vaincu.

Tu es venu en Turquie en 2011 avec une grande délégation d’artistes italiens du SBE, dont le grand Gallieno Ferri. Vous avez vu la grande passion du peuple turc envers Zagor. Que souhaiterais-tu dire à tous ces fans turcs ? À ce propos, nous souhaiterions tous voir Zagor et Cico arriver un jour en Turquie. Après leurs aventures en Angleterre et en Transylvanie (aventures non encore publiées en Turquie), pourquoi pas la Turquie des années 1800 ?

Lorsque nous avions prévu un voyage pour Zagor en Europe en 2021, nous avions envisagé de le faire venir à Istanbul (une ville qui est restée dans mon cœur suite à ma visite) après l'avoir envoyé jusque dans les Carpates. On souhaitait également le faire arriver dans les Balkans où il bénéficie d’une grande renommée comme en Turquie. Personnellement, j'aurais même voulu écrire une aventure se déroulant à Samarcande. Par la suite, notre maison d’édition a préféré ne pas allonger le voyage pour ne pas effrayer les lecteurs les plus traditionalistes, préférant Darkwood, le lieu légendaire où règne Zagor. Maintenant, il sera difficile, malheureusement, de le ramener en Europe ou en Asie Mineure ‒ ou du moins, cela prendra du temps. Mais il se pourrait que des  Turcs se rendant à Darkwood racontent en flashbacks de possibles aventures de Zagor se déroulant sur le Bosphore…

Zagor bénéficie d’une reconnaissance internationale. Dans combien de pays est-il publié ?

Au cours de 62 ans d’existence, Zagor a été publié dans de nombreux pays du monde. Il sort actuellement en Turquie, au Brésil, dans les pays de l'ex-Yougoslavie, en Hongrie, en France, aux États-Unis et en tamoul, en Inde. Des éditions sont prévues dans d'autres endroits encore.

Cher Moreno, nous savons que tu es un grand artiste prolifique : non seulement tu es le responsable de Zagor, mais aussi auteur de plusieurs livres et même d’une pièce de théâtre très appréciée. Que pourrais-tu dire sur toi, et sans fausse modestie ?

Je ne puis que dire que je me sens un homme avec beaucoup de chance, car j’ai réalisé mes rêves d’enfance et j’ai passé ma vie à écrire et à raconter des histoires qui ont passionné et diverti une multitude de personnes.

Cher Moreno, je te remercie encore une fois, énormément et sincèrement. J’espère que nous aurons à nouveau la joie de t’accueillir très prochainement en Turquie.

Eren Paykal