De l'intimité musicale à l'engagement collectif : Jeanne-Péri Foucault partage son cheminement créatif (Un article de Jules Pissembon)

Jeanne-Péri Foucault, figure montante de la composition de musique de film, s’impose aussi bien sur la scène turque que française. Elle a accepté de partager son parcours et ses réflexions avec Aujourd’hui la Turquie, éclairant un univers artistique fascinant.

Par Aujourd'hui la Turquie
Publié en Mars 2025

Née en Turquie, Jeanne-Péri a quitté son pays natal pour suivre sa scolarité en France, de la maternelle au primaire. Elle est ensuite retournée vivre en Turquie, d’abord à Bodrum, puis à Istanbul pour le lycée. Son cheminement personnel et artistique reflète une riche coexistence d’influences turques et françaises. Si elle confie avoir « testé le conservatoire d’Izmir » sans toutefois s’y investir pleinement faute de clarté sur ses ambitions à l’époque, c’est finalement vers des études de cinéma à Paris qu’elle se tourne. Là, elle décide entre-temps de reprendre le conservatoire, renouant ainsi avec sa passion pour la musique. Jeanne-Péri raconte avoir commencé le piano à trois ans, encouragée par sa mère. En parallèle de ses études, elle compose de la musique sur des poèmes, s’inspirant notamment de Baudelaire et Prévert. C’est un concours de circonstances qui mène Jeanne-Péri vers la composition. « J’ai composé pour le court-métrage d’un pote. C’était en dernière minute, je ne connaissais pas les logiciels, mais ça s’est super bien passé », raconte-t-elle avec enthousiasme. « On a même reçu plusieurs prix pour la musique », ajoute-t-elle. Encouragée par cette expérience réussie, elle décide de s’investir pleinement dans cette voie. Elle enrichit ses compétences en orchestration, piano et composition avant de s’envoler pour Los Angeles, où elle étoffe son portfolio dans un programme à temps partiel, une étape marquante de sa carrière.

Jeanne-Péri a évolué dans des environnements variés, chacun offrant un terrain fertile où talent et travail se mêlaient pour façonner une approche de la composition résolument unique. « Je privilégie vraiment l’aspect instinctif de la création », confie-t-elle, reconnaissant traverser des phases de recherche parfois frustrantes, tout en s’efforçant « d’écouter ce [qu’elle] ressent ». « Je ne cherche pas nécessairement à produire quelque chose de grandiose », précise-t-elle, préférant l’intimité d’un orchestre minimaliste, composé d’instruments à cordes, de piano et de synthétiseurs. Portée par ses divers expériences et projets, elle enrichit sans cesse son style, trouvant dans chaque nouvelle aventure créative une source de renouveau et d’inspiration. « J’ai réalisé des démos pour un compositeur de séries destinées à Netflix. Cela m’a ouvert les portes de l’univers de la musique électronique », dit-elle, précisant que ce nouveau volet musical occupe désormais une place centrale dans ses projets actuels.

En dévoilant les coulisses de son processus créatif, Jeanne-Péri nous plonge dans l’intimité profonde d’une artiste en pleine évolution. Elle confie être « très connectée » à ce qui l’entoure, tout en évoquant un « espace mental » indispensable à la création. Bien que, selon ses propres mots, « c’est un métier très solitaire », elle affirme ressentir « beaucoup moins cette solitude » en Turquie, où elle éprouve un véritable sentiment d’appartenance qui nourrit positivement son travail. Pour elle, être capable de créer, c’est être capable d’être pleinement soi-même. « La création, ça doit être une partie de vous, dit-elle, c’est ta signature, ce sont tes émotions, tes sensations qui s’expriment. » Pour créer sincèrement, Jeanne-Péri insiste sur l’importance de l’environnement. Cela passe avant tout par une question d'équilibre, de stabilité, un équilibre qui inclut nécessairement celui de ses revenus. Ainsi, la compositrice enseigne également le piano à temps partiel. Le reste de son temps est consacré à l’exploration créative et au développement de ses futurs projets. En matière d’expérimentation, les idées semblent nombreuses : préparer un piano puis l’associer à de la musique électronique, entre autres. Des idées qu’elle met au service de son art : parmi ses projets actuels, Jeanne-Péri compose pour une pièce de théâtre bientôt à l’affiche en Turquie, et pour des documentaires diffusés sur Arte, tout en réfléchissant à quelques morceaux qu’elle aimerait sortir en single.

Mais elle ne s’arrête pas là. Très consciente des défis liés à la place des femmes dans l’industrie musicale, elle souligne que c’est un milieu très masculin, particulièrement en Turquie. Face à cette réalité, elle a choisi de s’investir au sein du Collectif Troisième Autrice, basé en France, qui soutient les femmes et les minorités dans l’industrie musicale. Lancé officiellement en 2020, ce collectif représente, dit-elle, un espace d’entraide et d’éducation mutuelle. Le fonctionnement y est collaboratif et permet, au-delà d’une lutte politique essentielle pour une meilleure reconnaissance du travail non-masculin, d’explorer de nouvelles sources d’inspiration à travers l’échange et la discussion. Jeanne-Péri se dit optimiste quant aux progrès de l’industrie en matière d’inclusion et de diversité.

Cependant, d’autres aspects de l’industrie la préoccupent davantage. Elle évoque longuement la « forte culture de la comparaison et de la compétition », qu’elle juge particulièrement toxique. Si elle apprécie les rencontres  et la convivialité lors des festivals, elle en déplore pourtant l’aspect compétitif. Cette atmosphère générale impose des contours rigides à la notion de réussite dans cette industrie – une réalité qui déplaît profondément à la compositrice. Pour elle, il est essentiel de s’affranchir autant que possible des attentes et de cette tendance à la comparaison, et il est crucial de « gérer ça très tôt » dans une carrière artistique naissante. Son conseil ? « Trouver son cocon. Ça change tout ! » Parmi les autres défis à surmonter figure la peur du regret : « L’une des plus grandes peurs qu’on a, c’est de rater le projet de notre vie. » À cela s’ajoute la difficulté de valoriser son travail dans une industrie aux structures si spécifiques, où le travail gratuit est usuel. Faire reconnaître la valeur de son travail auprès des réalisateurs reste une tâche ardue. Une situation qui la plonge régulièrement dans une incertitude paralysante quant aux choix professionnels à faire. Pourtant, elle reste consciente qu’elle est une artiste, au fond de son être, et que d’autres opportunités finiront par s’ouvrir à elle. « Je me rends compte que je me suis trop enfermée dans cette idée que je devais absolument réussir ma vie dans la musique de film, que devenir compositrice était le but ultime de ma vie », confie-t-elle. Et d’autres horizons l’attirent, notamment le cinéma, un domaine pour lequel elle est non seulement formée mais également parfaitement compétente. En quête de renouveau créatif, et surtout d’épanouissement personnel, elle confie ressentir un « besoin de fraîcheur » et s’efforce de conserver un esprit ouvert face à ses propres ambitions.