Du 20 décembre 2024 au 25 janvier 2025, l’Institut Français d’Istanbul a accueilli l’exposition collective d’art contemporain « Les Pratiques de survivance », un projet porté par la plateforme numérique PlumeMag, dédiée à la promotion des tendances de vie durable, de la culture et de l’art en Turquie.
Réunissant les œuvres de neuf artistes – « non pas choisies en fonction de leurs créations, mais plutôt selon leur manière d’être », comme le souligne Bihter Ayyıldız, historienne de l’art et fondatrice de PlumeMag – l’exposition explore le thème de la durabilité, et plus particulièrement ce que le philosophe français Georges Didi-Huberman définit comme la capacité anthropologique à « persévérer ». S’appuyant sur les questionnements du penseur concernant notre aptitude à devenir des lueurs d’espoir, des lucioles, face aux lumières aveuglantes et éblouissantes du pouvoir, de la puissance, les artistes ont cherché à y répondre à travers leurs productions artistiques. Le caractère collectif de cette exposition se manifeste par la diversité des formats explorés, allant de la performance à la photographie, en passant par la peinture et la sculpture.
Au centre de l’exposition, un écran capte immédiatement l’attention. Sa lumière vive et bleutée semble s’animer légèrement. En s’approchant, le spectateur comprend : une performance y est projetée. Une femme, vue du dessus, nage sans relâche dans une piscine. Malgré ses efforts incessants, elle semble incapable de sortir d'une couche d'eau qui la recouvre sans cesse. Elle lutte, y met tout son cœur, mais en vain – comme si cette impossibilité de s’échapper ne dépendait pas de son contrôle. Cette performance incarne les structures invisibles et oppressantes qui limitent l'épanouissement des femmes et l'exercice de leur potentiel, et interroge leur capacité à persévérer malgré un cadre contraint et profondément injuste. Sur le mur adjacent, un autre écran affiche, sur fond noir : « Pendant combien de temps pourra-t-il le supporter ? ». Une vidéo se lance alors. On y voit un homme, seul face à la caméra, saisir une roche de ses deux mains et la soulever au-dessus de sa tête. La question prend alors tout son sens : combien de temps tiendra-t-il ? Cette roche symbolise le poids des structures, des normes, des relations qui confinent l’individu dans un rôle parfois insupportable, l’écrasant jusqu’à le submerger. L’homme craque, incapable de tenir plus longtemps, il jette la pierre, fixe la caméra et s’en va. La roche a eu raison de lui et de ses croyances ; il ne résistera plus. En face, une photographie occupe l’autre mur. En bas, une centaine de personnes, vêtues de noir, sont entassées, semblant patienter et faire la queue pour atteindre l'extrémité droite du cadre. Cette fine ligne noire est écrasée par un ciel blanc dominant, dont l'effet est perturbé par un détail : à gauche, une caméra, fixée sur un poteau, est orientée vers cette foule figée. Par ce cliché, le photographe cherche à illustrer, à sa manière, le concept du Panopticon, développé par le philosophe français Michel Foucault, qui postule qu'une surveillance constante incite à l’autodiscipline. À travers cette image, le photographe explore les dynamiques de pouvoir et le contrôle social omniprésent dans les sociétés modernes.
Le reste de l'exposition se distingue par des œuvres aux thématiques variées, abordant notamment les questions migratoires ou le symbolisme du corps. Fascinant, interpellant.