Hommes volants de Turquie…

En novembre 2022, Valentin Delluc, adepte confirmé du « ski volant », a défrayé la chronique en Cappadoce, en s’élançant à 2600 mètres de hauteur d’une montgolfière, muni d’un petit parapente favorisant la vitesse.

Par Gisèle Durero Köseoğlu
Publié en Février 2023

En novembre 2022, Valentin Delluc, adepte confirmé du « ski volant », a défrayé la chronique en Cappadoce, en s’élançant à 2600 mètres de hauteur d’une montgolfière, muni d’un petit parapente favorisant la vitesse. Sa vidéo « Fairy flight », dans laquelle il frôle, à 140 kilomètres/heure, les cheminées de fées, rebondissant parfois sur leur pointe, a fait le tour du monde. Ces exploits contemporains réalisent en partie le vieux rêve qui anime l’homme depuis Icare, voler comme un oiseau.

A ce propos, le monde turc fut fertile en téméraires qui en multiplièrent les tentatives. Un des premiers hommes volants fut le savant dit « Cevheri », un Turc de Nichapour, auteur d’un dictionnaire d’arabe qui, enrichi d’une traduction en turc, sera le premier livre imprimé par les presses ottomanes de Müteferrika. En l’an 1002, pourvu d’ailes de bois, cet intrépide se jeta dans le vide depuis les coupoles d’une mosquée, pensant réaliser une première dans l’histoire mais y perdit la vie. Plus tard, le sultan seldjoukide Kılıç Arslan II, invité à Constantinople, en 1159, par son ancien ennemi, Manuel Comnènes, voulut lui offrir un spectacle inoubliable. Une tour de bois fut amenée sur l’Hippodrome et l’un de ses soldats revêtit une combinaison équipée d’une sorte de parachute. Mais le vêtement ne s’ouvrit pas faute de vent et l’audacieux s’écrasa sur le sol.

Si le premier homme à avoir officiellement réussi, en Andalousie, au IXème siècle, à tenir dans les airs, fut Ibn Firnas, la vedette revient à Hezarfen Ahmed Çelebi, qui, en 1632, s’envola, avec d’immenses ailes en plumes d’aigle, depuis le sommet de la Tour de Galata. Propulsé par les vents, il serait parvenu à traverser le Bosphore et à parcourir 3538 mètres, avant d’atterrir à Üsküdar, sur la rive asiatique, sous les yeux du sultan. Murat IV, fasciné par cet exploit, commença par lui offrir une bourse d’or, mais bien vite, l’idée qu’un homme aussi doué pourrait se révéler dangereux germa dans son esprit et il le bannit en Algérie. Peu après, une autre tête brûlée, l’ingénieur Lagari Hasan Çelebi, fut le premier Turc à décoller dans une fusée. Lors des fêtes organisées pour la naissance de la sultane Kaya, Lagari prit son essor depuis la Pointe de Sérail, dans un container de métal surmontant une fusée propulsée par soixante-quatre kilos de poudre noire. Peu avant le départ, il aurait déclaré au sultan qu’il allait voir Jésus. Quand la poudre fut épuisée, il déploya des ailes et réussit à planer jusqu’au palais du pacha Sinan, effectuant ainsi un vol total de trois-cents mètres. « Vous avez le bonjour de Jésus », aurait-il dit au sultan après son atterrissage. L’écrivain-voyageur Evliya Çelebi rapporte que, si Murat IV le récompensa d’abord pour sa bravoure, il se laissa encore bercer au chant des sirènes et bien vite, exila le casse-cou en Crimée. Le Musée de l’Aviation d’Ankara expose une reconstitution de son incroyable machine.

Car les tentatives de vol dans les airs ou les phénomènes célestes, n’ont pas toujours été considérés comme de bons présages. Dans l’Antiquité déjà, on racontait que le roi du Pont, Mithridate, prêt à vaincre son ennemi, le Romain Lucullus, avait été mis en déroute aux Dardanelles par l’apparition dans le ciel, entre les deux armées, d’un immense objet brillant, couleur de plomb fondu. Au XVIe siècle, le sultan Murat III avait fait édifier, sur la colline de Tophane, un observatoire considéré alors comme l’un des plus modernes de l’époque. Or, un jour de 1577, apparut une comète à longue queue que l’on put observer pendant quarante jours. Sur ces entrefaites, les Turcs perdirent une bataille contre les Iraniens et la peste se déclara à Istanbul. Les religieux émirent une fatwa affirmant que la recherche des secrets cachés par Dieu dans le ciel avait porté malchance. Le sultan fit alors amener ses canons et il ne demeura de l’observatoire qu’un tas de cailloux… Plus près de nous, avec l’évolution des mentalités, l’idée de voler refit surface. Le sultan Abdülhamid II acheta un ballon destiné à l’armée ottomane, qui décolla sur la place de Taksim, le 28 mai 1909, devant des milliers de curieux. Il est représenté sur des cartes postales anciennes, ainsi que le Zeppelin qui, en août 1913, s’éleva de Yeşilköy et survola Istanbul puis le Bosphore. Toutes ces tentatives semblent avoir préfiguré la fameuse phrase d’Atatürk, « L’avenir est dans le ciel »…

Gisèle Durero Köseoglu