Un voyage dans le doute

​Friedrich Nietzsche, brillant philosophe de la fin du XIXe siècle, est à mon avis l’un des penseurs et érudits les plus mal interprétés et les plus incompris de notre époque.

Par Mehdi Emamifard
Publié en Avril 2024

Car les paroles de ce philosophe moderne ont été déformées et instrumentalisées de manière pernicieuse par bon nombre d’individus opportunistes et pervers pour leur gloire et leurs objectifs personnels, sans aucun égard pour le sens du message délivré par cet esprit brillant dans les nombreux aphorismes et traités philosophiques écrits au cours de sa courte et tumultueuse vie. Si Nietzsche avait vécu plus longtemps, il aurait haï ceux qui ont pernicieusement agi, et aurait déploré leur interprétation trompeuse de ses pensées et de sa philosophie.

Après avoir fait à Bonn des études de théologie portant notamment sur la critique biblique, Nietzsche voit son interprétation de la religion et de son implication dans la vie quotidienne radicalement changer. Il forge alors sa compréhension intellectuelle de l’ingérence perpétuelle des idéologies religieuses dans la vie humaine quotidienne comme étant stérile et improductive : il en conclut que nous devrions créer nos propres valeurs morales et éthiques basées sur la vérité objective, et non dictées par la religion.

Au terme de ses études théologiques, Nietzsche arrive à la conclusion qu’à cause de l'ingérence religieuse, le monde est devenu un exil morne, avec des tourments et des souffrances à endurer et non à célébrer. Il étudie alors la philologie classique pour se tourner vers le monde classique et humaniste, y trouver consolation et réconfort et des réponses pour un bonheur tolérable. Il construit alors sa pensée dans le monde classique d’Apollon et de Dionysos ‒ Apollon, dieu de la lumière, de la logique et de la rationalité philosophique, contrastant avec Dionysos, doté de l'esprit de grandeur, de perte de contrôle et de bonheur viscéral.

Nietzsche choisit de privilégier la philosophie dionysiaque de la vie car basée sur le sentiment viscéral d’être humain et la soif de vivre une vie heureuse et joyeuse, même dangereusement : il s’agit de donner un sens à sa vie, au risque d’en souffrir. Il formule donc l’aphorisme selon lequel une vie non explorée et sans prise de risque ne vaut pas la peine d’être vécue.

Le voyage dans le doute commence pour Nietzsche après la mort de son père, par l’aversion qu’il ressent envers la morale d’esclave que dicte une croyance religieuse profonde. Sa recherche profonde du sens de la vie l’amène à considérer que l’individu non influencé par les impératifs, les idéologies de la religion ou la superstition conséquente, ou même par des lois et règlements imposés par l’État, peut connaître un bonheur serein et un épanouissement personnel basés sur un sens supérieur de l’éthique et de la moralité. C’est là le concept du cheminement de Zarathoustra, philosophe et prophète persan que Nietzsche appelait l’Übermensch, le surhomme, ou plutôt l’homme idéal. Mais comment un homme qui a vécu il y a plus de trois mille ans pouvait-il être au cœur de l’hypothèse centrale de lÜbermensch ?

L’élément clé de ce concept révolutionnaire est basé sur l’éthique et la morale, motivées par le désir d’accomplir de bonnes actions et de bonnes pensées. Nietzsche a créé cette idée de surhomme au départ de l’idéologie de Zarathoustra, en la fondant sur les concepts de dépassement de soi et de recherche de la douleur comme condition du bonheur. Il est essentiel ici de souligner qu’il n’y a pas de lignes directrices fondamentales ou de plan pour guider et aider les humains à devenir Übermensch.

Nietzsche reconnaît d’ailleurs que le concept d’Übermensch n’est peut-être pas aussi efficace pour tous. Considérant que la religion est un désengagement pernicieux envers la terre et de la nature, Nietzsche a commencé à voir en la philosophie morale une morale d’esclave sans pouvoir, basée sur des croyances religieuses qui créent un bonheur convenu et de faux espoirs. Il lui oppose dès lors une moralité supérieure dominent les pensées et les vertus.

Ce concept est sans aucun doute en marge de la tradition intellectuelle occidentale, et c’est bien une philosophie orientale qui a ainsi fortement influencé la philosophie occidentale moderne. Nietzsche a transformé ce concept en une œuvre basée sur la philosophie de la souffrance et de l’importance de la surmonter