La Serbie d’Aleksandr Vujic début 2024 : un pouvoir contesté entre les influences de l’UE et de la Russie

Le 17 décembre 2023, les élections législatives en Serbie confirmaient Aleksandr Vujic, au pouvoir depuis 2017.

Par Dr. Olivier Buirette
Publié en Avril 2024

En remportant plus de la moitié des suffrages, le parti SNS (Parti progressiste serbe), d’où est issu le président serbe, devait par sa victoire renforcer la politique menée par Vujik depuis plusieurs années. Pour cela, le SNS devait former une coalition avec d’autres partis sous la bannière du rassemblement « La Serbie ne doit pas s’arrêter » créé en 2012.

Cette politique identifiée comme populiste et conservatrice est à la fois tournée vers l’aide de l’Union européenne, mais aussi celle, relativement bienveillante, de la Russie. Aleksandr Vujic est en fait au pouvoir depuis 10 ans : premier ministre de Serbie de 2014 à 2017, puis président de la République.

Il faut dire que le cas de la Serbie reste complexe dans la région, et que son Histoire récente est quelque peu tourmentée depuis la fin de l’existence de la Yougoslavie.

En effet, depuis le Moyen Âge et le puissant Empire serbe régional de Stefan Dusan qui dura jusqu’au XIVe siècle, après une longue domination de l’Empire ottoman et ayant enfin vécu le réveil des nationalités et des indépendances au XIXe siècle, Belgrade se retrouva au cœur de l’aventure des États des Slaves du Sud au XXe siècle avec le Royaume de Yougoslavie, puis la Fédération yougoslave du Maréchal Tito durant la guerre froide.

Cette relative stabilité devait disparaitre avec la longue guerre civile de dissolution de la Yougoslavie de 1991 à 2000, puis la fin de l’éphémère Union Serbie-Monténégro de 2003 à 2006.

Depuis, la Serbie aura vu le solde des années de guerre civile dans le cadre du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie de La Haye (TPY), avec l’arrestation puis le décès de son leader emblématique de la période de la guerre : Slobodan Milosevic (1941-2006) ; puis l’arrestation et la condamnation des leaders de la République serbe de Bosnie (Republika Srpska) : Radovan Karadzic et le général Ratko Mladic.

À cette stabilisation difficile depuis une quinzaine d’années s’ajoutent les conséquences, au sud de la Serbie, de l’indépendance auto-proclamée du Kosovo depuis 2008. Ce petit État de presque 2 millions d’habitants composé à 92 % d’Albanais polarise depuis ces derniers temps pas mal de problèmes liés d’une part à la contestation de son indépendance par la Serbie voisine, mais aussi aux incidents réguliers avec la minorité de Serbes toujours présente dans le pays à hauteur de 2 %, notamment dans le secteur de la ville de Mitrovica.

Si l’ONU, l’UE et l’OTAN ont tout fait pour temporiser ce problème et stabiliser ce point toujours chaud dans la région, force est de constater que cette problématique est à la source même du pouvoir de leaders plus durs, et ce de part et d’autre : que ce soit Albin Kurti à Pristina depuis 2021, ou Aleksandr Vujic à Belgrade depuis 2017. Tout deux sont issus de partis nationalistes et populistes, ce qui n’arrange rien dans cette situation de frictions régulières entre les deux pays. Et ces problèmes confortent ainsi le maintien au pouvoir de ces deux leaders, rendant ainsi plus difficile une normalisation des relations.

Revenons au cas de la Serbie. Même si les dernières élections législatives de décembre ont réveillé la contestation démocratique dans le pays, il reste évident que la seule sortie possible est diplomatique et, comme on dit, par le haut.

En cela, un espoir réside à la fois dans la multiplication récente des échanges économiques entre les pays de la région, mais aussi dans la perspective, même si elle reste lointaine, d’un élargissement de l’UE dans la région.

Il faut souhaiter que cet élargissement soit le plus large possible, car nous ne pouvons que constater ses effets positifs dans ces deux ex-pays de l’ex-Yougoslavie que sont la Slovénie, entrée en 2002, et la Croatie, entrée en 2013.

C’est paradoxalement par l’entrée dans une nouvelle forme de partage et de vivre ensemble que les nationalismes, les crises et les guerres pourront vraiment s’atténuer.

C’était là aussi en grande partie la vision de Jacques Delors en tant que président de la Commission européenne de 1985 à 1995.

Au moment où le monde rend hommage à ce grand Européen qui nous a quittés le 27 décembre 2023, souhaitons que ses idées continuent de circuler et d’inspirer les décideurs de notre temps.

Dr Olivier Buirette