Imagination

Cela fait plus d’un mois que les journées se rallongent, mais les affaires ne s’arrangent pas.

Par Ali Türek
Publié en Mars 2024

La ville est toujours grise, la ville est toujours sombre. La Seine coule toujours d’une couleur profondément triste et le jour, rien ne vous rappelle encore la lumière. 

Le mois dernier, je pensais sincèrement qu’il nous manquait quelques rayons de soleil.  Je pensais que cela nous suffirait. Mais encore une fois, je me trompais. Il y a bel et bien quelque chose qui nous manque et qui nous prive des mille et une joies de la lumière, mais ce n’est pas si évident, ce quelque chose se trouve clairement ailleurs.

Partout dans le monde, les sociétés sont traversées par de grands défis menaçant la paix, le progrès, voire l’avenir même de notre Terre. Mais partout dans le monde, on regarde ailleurs. Partout dans le monde, on tourne la tête, on ignore. On glisse, tout doucement et collectivement, dans une sorte de cauchemar. Sinon, comment expliquerait-on ces nuages d’idées omniprésents en ce milieu du mois de janvier ? Tenues uniques dans les écoles, hymnes à apprendre par cœur, travail et reproduction comme seuls horizons d’une vie épanouie… Tout ça alors qu’on passe sous silence les grands problèmes que posent le dérèglement climatique et les inégalités sociales en marche à nos sociétés.

Vous trouverez cela bien morose et bien triste, vous aurez raison. Or…

Imaginez un instant ce que deviendrait notre monde si un réseau clandestin de représentants de divers mouvements, de syndicats et de partis politiques hostiles au gouvernement de Vichy n’avait pas adopté en mars 1944 un « plan d'action immédiat » de résistance, mais aussi des « mesures à appliquer dès la libération du territoire », une liste de réformes sociales et économiques ?

Imaginez un instant ce que deviendrait notre monde si en été 1971, les membres du Conseil constitutionnel n'avaient pas fait un véritable travail d’interprétation juridique pour déterminer le caractère constitutionnel de la liberté d’association en s’appuyant sur le préambule de la Constitution affirmant « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » ?

Imaginez un instant ce que deviendrait notre monde si en octobre 1981, on n’avait pas lancé l’idée d’une grande manifestation populaire qui réunisse toutes les musiques du monde dans l’espace public sans aucune distinction de genre ou d’origine ? 

Imagineriez-vous une France sans sécurité sociale, une France sans véritables garanties constitutionnelles des droits fondamentaux et libertés politiques, ou encore une France sans Fête de la Musique ? La réponse est claire. Le monde politique, le monde social, le monde juridique sont faits non pas de nuages d’idées rances mais d’imagination. Ils ne s’appuient pas sur elle, ils sont bâtis sur elle et par elle. Sans l’imagination et sans le courage et la détermination nécessaires à la soutenir, il n’existe point d’édifice social. Or, aujourd’hui, on a souvent l’impression que tout cela est absent et que rien de tout cela n’est au rendez-vous. 

Les nuages sombres, nous saurons les chasser, la lumière, nous saurons la préserver. Il nous faut simplement de l’imagination. L’imagination…

Ali Türek