L’influence des arts décoratifs turcs en France au XIXe siècle

Les architectes Charles Percier (1764-1838) et Pierre François Léonard Fontaine (1862-1853), associés dès 1794, aménagent en 1802 un petit salon turc dans l’hôtel parisien du général Moreau.

Par Gözde Pamuk
Publié en Juin 2023

Les murs dorés sont couverts d’images orientales sur taffetas. Dans ce salon, on trouve des divans avec des motifs à la turque ; à la fenêtre, des rideaux croisés, l’un à gauche et l’autre à droite, portés par un outil en forme de triangle avec un motif de croissant et des patères à étoiles…

À Saint-Cloud, à la même période, les petits appartements de Joséphine de Beauharnais incluent un boudoir au goût turc. Du même style que chez le général Moreau, les murs sont dorés et couverts cette fois-ci de satin violet avec des motifs de croissants. Les rideaux sont en taffetas vert ourlés de festons indiens. Dans le boudoir, on trouve deux consoles turques en bois avec des motifs de fleurs de lotus sur le bronze doré.

À l’hôtel de Beauharnais, à Saint-Germain à Paris, actuelle ambassade d’Allemagne, acquis en 1803 pour son fils Eugène nommé vice-roi d’Italie, l’Impératrice Joséphine souhaite effectuer sa propre décoration intérieure. Elle y aménage aussi un boudoir turc avec un mobilier de style ottoman. Joséphine possédait aussi une belle collection de dessins turcs sur soie avec des motifs bien sûr dorés à la turque.

Le succès de cette décoration et de ce boudoir turc de Joséphine inspire sa fille Hortense de Beauharnais, fille d'Alexandre de Beauharnais, qui sera adoptée par l’Empereur et se mariera avec le frère cadet de ce dernier, devenant ainsi reine de Hollande. Elle s’installe en 1804 dans l’ancien hôtel Bollioud de Saint-Julien, rue Cerutti à Paris. Dans cet hôtel particulier, les murs étaient ornés d’une soierie bleue ; au plafond, on trouvait une lampe d’albâtre. Elle y aménage un boudoir turc avec un canapé en bois recouvert d’étoffe bleue. La dominance des tissus dans la décoration de cette pièce était bien d’inspiration turque, mais on n’y trouvait pas de motifs de croissants ni d’étoiles.

À la même période, un salon turc est également aménagé au palais de Tuileries pour le prince Joinville, fils de Louis-Philippe…

La richesse et l’abondance des textiles et des tissus utilisés à cette époque dans les demeures des personnages importants suffisent à évoquer les charmes et le luxe de l’Orient. Les artistes et artisans français de l’époque soulignent ainsi le génie des artisans orientaux, l’originalité de leur savoir-faire. Ces inspirations orientales nourrissent le désir d’évasion, d’échapper à l’ordinaire, et vont persister tout au long du XIXe siècle. Cette fascination de l’Orient correspond à une recherche de charme, de séduction, de romantisme ou encore une certaine nostalgie.

Déjà, le célèbre boudoir turc du Château de Fontainebleau, aménagé en 1777 pour Marie-Antoinette, nous introduisait dans l’intimité d’une reine. Ces décors étaient un refuge d’Orient réservé à son usage exclusif. Pour Joséphine aussi, peu appréciée par sa belle-famille, cet espace à la turque était un lieu de rêve, de solitude et de paix. Sa femme de chambre déclara : « Personne n’avait un goût aussi exquis que le sien ; mais comme les artistes, les fabricants et les marchands en avaient aussi, tous, à l’envi, s’empressaient de lui offrir leurs productions, et elles étaient acceptées. Malheureusement, le moment de payer arrivait, et les dépenses s’élevaient toujours beaucoup au-dessus du revenu alloué à l’Impératrice. Alors il fallait avoir recours à l’Empereur ; il finissait bien par payer. »

Les dépenses élevées de Joséphine font ainsi singulièrement écho à celles dont les révolutionnaires accusaient Marie-Antoinette… Elles sont donc significatives de cette recherche de raffinement et d’élégance dans l’aménagement des espaces privés des reines ‒ qui se traduisait, pour Joséphine, par cette passion pour les arts décoratifs turcs.