Mardi 20 mars à 19h30, la salle de spectacle de Notre-Dame de Sion était emplie de spectateurs venus pour la première de « Cassandre ou le Chant des Ruines • un mythe en musique ».
Ce projet-création, présenté à l'occasion de la Journée de la Francophonie, était proposé par le Consulat Général de Belgique en collaboration avec le lycée Notre-Dame de Sion. Parmi les invités, on pouvait voir à cà´té de M. Alexandre Abellan, directeur du lycée, M. Tim Van Anderlecht, Consul général de Belgique, et ses homologues allemand, britannique, suisse, italien, hollandais, polonais, japonais et ukrainien.
Dans la journée, lors des répétitions, j'ai eu l'occasion de rencontrer les artistes, et plus particulièrement de m'entretenir avec les créateurs belges du projet, Dominique Corbiau et Pascale Seys.
Dominique Corbiau, contre-ténor spécialisé dans la musique vocale baroque, crée des spectacles multidisciplinaires (danse, musique, peinture, théà¢tre). « J'aime ces créations un peu hybrides », dit-il. « Ce projet a créé l'opportunité de collaborer avec Pascale Seys que je connaissais grà¢ce à son émission de radio, Les Mythes de l'actu, où elle met en regard un mythe de l'Antiquité et notre vie contemporaine. Je trouve sa démarche instructive, poétique et pleine de sagesse, et cela m'a donné envie de travailler avec elle. »
Dominique Corbiau déclare qu'après la pandémie Covid et le début de la guerre en Ukraine, il a éprouvé le besoin de créer des projets qui font sens, et c'est là l'un des principaux moteurs de Cassandre ou le Chant des Ruines. « L'idée du projet m'est venue à l'écoute d'un podcast de Pascale, justement, qui travaille sur plusieurs héroïnes de l'Antiquité, dont Cassandre. Je me suis alors souvenu de Cassandra, une magnifique cantate de Johann Christoph Friedrich Bach, très peu jouée. J'ai appelé Pascale et je lui ai parlé de mon projet, un projet atypique où musique et philosophie dialogueraient en écho à l'actualité. Pascale m'a fait part de son intérêt envers le projet.
Je lui ai d'abord fait écouter la musique dans sa version originale avec orchestre. Puis elle a lu le livret de la cantate, afin de réfléchir au texte qui constituera la partie narrative du projet : le récit mythologique de Cassandre placé dans une vision contemporaine, et vu surtout sous le prisme de la philosophie.
Je voulais une formule intimiste, car cette cantate étant à l'origine conçue pour un orchestre, il fallait la transformer en version chambriste. Avec mes deux camarades musiciennes, Shiho Ono au violon et Nina Lakićević au clavecin, nous avons essayé de faire une version concentrée. C'est vraiment une récréation musicale, d'après la musique originale de Bach. J'ai voulu que le chant et la parole se rejoignent et se répondent, se passent le flambeau. La cantate comprend donc de larges passages récitatifs. Il y a évidemment de beaux grands airs très lyriques, mais tout ce qui relève de l'action immédiate est du récitatif, c'est de la parole directe. Si j'interprète la partie chantée, j'ai demandé à Pascale de faire de tous les récitatifs, conçus comme la voix du chœur d'une tragédie antique. Car dans le théà¢tre antique, le chœur est toujours là pour commenter, faire avancer l'action et donner des enseignements. Nous avons donc travaillé à incorporer le texte au sein même de la musique. Des pans entiers de la cantate, chantés à l'origine, ont été remplacés par les récitatifs de Pascale dont la voix s'entrelace à la structure d'accompagnement musical. Et la voix de Pascale devient musique, tandis que moi, à l'inverse, je représente Cassandre qui relate ses visions par cette cantate, prévoit tout ce qui va se passer : la déchéance de sa famille, la chute de Troie. Elle essaye d'avertir, d'alerter, mais personne ne l'écoute... Cassandre, en fait, nous confronte à notre propre incapacité, parfois, à vouloir voir la réalité. »
Pascale Seys, la récitante, est docteure en philosophie et enseigne cette matière. Elle est aussi journaliste culturelle. Elle nous parle du projet en ces termes.
« Les grands textes de l'Antiquité nous confrontent souvent à la mort des personnages... Cependant, travailler avec Dominique Corbiau sur le personnage mythique de Cassandre a été une rencontre éminemment vivante, vivifiante, se nourrissant de la philosophie de l'Antiquité et nous amenant à la comprendre. La musique de Bach, à la base du projet, est accompagnée d'un texte qui donne le fil de l'histoire. La musique est toujours plus forte. Comment donc être à la fois la voix narratrice des visions de Cassandre, et rester dans une juste place par rapport à une musique qui raconte déjà tout ? C'était un défi. Mon souci, c'était de rendre les idées sensibles. Et ici, la musique impose de les rendre sensibles. Nous avons beaucoup travaillé, Dominique nous expliquait ce qui était en train de se passer musicalement pour que le texte puisse accompagner l'action ».
La première à Istanbul, c'est Pascale qui en a lancé l'idée. « J'ai pensé qu'il fallait rendre Cassandre à Troie. Il se trouve que Dominique connaissait Ali Pınar et avait travaillé avec lui dans le cadre d'Istanbul Baroque, et moi je connaissais Patricia Seghers qui venait de s'installer à Istanbul. Tout s'est tricoté pour qu'on arrive ici. Comme une prophétie qui se réalise ! »
« L'épilogue tragique du mythe antique est certes bien connu, mais nous avons tenu à lui conférer une autre dimension : Cassandre est bien l'histoire d'une ruine et de la défaite de Troie, mais au-delà , il y a aussi le renouveau, l'espoir et l'envie de reconstruire. Il était important de ne pas terminer le récit uniquement sur cette défaite. » Et Pascale de poursuivre : « Dominique, lui, était sensible à l'idée de la reconstruction et ne voulait pas rester dans le tragique. Alors que pour moi, Cassandre, c'est quand même l'histoire d'une tragédie qui, historiquement, se répète. Et nous, nous créons notre spectacle dans un lieu géographiquement emblématique à cet égard : Byzance, Constantinople, Istanbul... un lieu à l'histoire millénaire, plaque tournante historique et géographique, un lieu de croisements, de mixité de peuples et de cultures, de migration, de nouveaux départs, de nouvelles espérances et de nouvelles reconstructions. Le choix d'Istanbul est en pleine cohérence avec notre projet. »
à€ quelques heures de la première, Dominique et Pascale disent avoir la satisfaction d'avoir bien travaillé. Et aussi, d'être un peu anxieux de ce que sera l'accueil du public. Dominique Corbiau conclut : « C'était un réel bonheur pour nous de réaliser ce projet, je pense que nous avons conçu quelque chose d'original et d'inédit. »
Dr. Mireille Sadège