La nuit du 5 au 6 février, nous avons vécu une grande catastrophe à tous égards, « la catastrophe du siècle », disent-ils...
Nous la vivons encore. Imaginez un instant l'étendue des deux tiers de l'Angleterre... Dix villes du sud-ouest de la Turquie, mais aussi le nord de la Syrie, Chypre... Des quartiers, des villes entières sous les décombres... La gravité de la catastrophe semble être sans précédent. Des milliers de vies perdues, des milliers de vies sans toit, en détresse, des milliers de vies blessées à jamais.
Il y a deux mois seulement, j'avais titré mon article « Turquie 2023 ». En relisant mes lignes, je ne sais plus quoi dire. Une proposition de révision constitutionnelle relative au port du voile était à l'ordre du jour au Parlement. Du cà´té de l'opposition, les partis s'organisaient. Le maire d'Istanbul était sous le coup d'une condamnation pénale et les constitutionnalistes débattaient la possibilité ou non pour le président actuel de pouvoir se présenter une troisième fois au suffrage universel. J'avais écrit que tout allait se jouer en 2023.
Deux tremblements de terre ont depuis fait tout basculer. Ils ont donné une tout autre tournure, une tout autre gravité à cette année 2023, l'année qui sera peut-être la plus longue de toute l'existence du pays.
Il y a deux mois, le calendrier politique de la Turquie restait tout sauf lisible. Il l'est encore aujourd'hui, plus encore. Pourtant, la politique ne fait pas de pause. Elle remplit son rà´le ignoble jusqu'au bout. En plein milieu des décombres devenus cimetières pour des milliers de vie par négligence, impréparation, par désorganisation des pouvoirs, la politique discute la possibilité de reporter les élections présidentielles.
Il faut être, pour une fois, clair et précis : le droit est sans équivoque. Selon l'article 78 de la Constitution, le report des élections en Turquie n'est possible qu'en cas de guerre formellement déclarée conformément à la loi. D'abord, cette guerre dans laquelle serait plongé le pays devrait rendre impossible la tenue d'élections. Ensuite, le seul organe habilité à décider si l'état de guerre rend impossible la tenue d'élections est la Grande Assemblée nationale turque, à l'exclusion de toute autre instance.
Poursuivons la lecture du dispositif législatif. Il convient de mentionner la décision de la Cour constitutionnelle du 19.01.2012 sur l'article 5 de la loi sur les élections présidentielles entrée en vigueur en 2012. La Cour adopte, ici, un point de vue différent de l'article 78 de la Constitution concernant l'élection présidentielle, et soutient que la guerre n'est pas la seule raison du report de l'élection et qu'il peut y avoir d'autres raisons de force majeure. En revanche, il est indiscutablement clair que la condition « d'absence de possibilité de tenir des élections libres » soulignée par la Cour constitutionnelle est incontournable et n'est donc pas valable dans la situation que vit actuellement la Turquie.
Pour le formuler autrement, si la Turquie n'est pas en guerre et que l'Assemblée nationale n'a pas pris de décision, il n'y a pas de telle option de report. Les élections devraient avoir lieu au plus tard le 18 juin de cette année.
Il y a deux mois, je terminais mes lignes en disant que la Turquie était très loin du calme et de la tempérance d'une Scandinavie. Que la politique s'y faisait autrement et que d'autres logiques régnaient dans cette partie de la planète. Je n'avais pas imaginé le pire : que la vie humaine entre en jeu.
En cette année où la Turquie contemporaine fera son entrée dans son deuxième siècle d'existence, qui tiendra les clés du pays dans ses mains, le soir du 29 octobre, date du centenaire de la République ? Qui la sortira de cette longue et sombre catastrophe du siècle qui a déjà duré trop longtemps ?
Ali Türek