Les tristes réalités évoquées lors de mes derniers articles ont mis en lumière le besoin immédiat d’une éducation sociétale de qualité pour l’ensemble du pays, garantie d’un futur meilleur pour nos enfants ainsi que pour la Nation. Dans ce cadre, j’ai eu l’honneur de m’entretenir avec Madame Ülkü Arıoğlu, doyenne dans le domaine de l’éducation en Turquie, présidente des Écoles Irmak (Irmak Okulları), institution de grande ren
Voici le premier volet du long entretien que m’a accordé cette républicaine convaincue, attachée aux principes fondateurs de la République turque et par-là même pionnière de l’enseignement de la responsabilité sociale, tout particulièrement envers les enfants.
Madame Arıoğlu, c’est un grand honneur pour moi de vous accueillir pour Aujourd’hui la Turquie. Pouvez-vous nous parlez de vous ?
Je suis née à Lüleburgaz en 1940. Ville reconstruite après la guerre d'Indépendance, sa population était composée d'immigrants qui avaient fui la Roumélie avant la guerre des Balkans, ainsi que de familles issues des échanges de population après le traité de Lausanne. Mon père, vétéran de la Guerre d’Indépendance, avait œuvré dans la fondation de la ville. Dernier enfant d'une famille républicaine de six enfants, j'ai étudié à l'école primaire et au collège de Lüleburgaz. Je ne puis oublier les connaissances que j'ai acquises dans nos écoles de la jeune République turque, insufflées par des professeurs animés par leur désir de transmettre savoir et valeurs humaines. Nous avons reçu une éducation empreinte d'art, de poésie et de savoir. Nous célébrions avec un grand enthousiasme nos fêtes nationales, particulièrement le 19 Mai. L'Institut de Village de Kepirtepe, tout proche de notre ville, collaborait activement à cette fête emplie de chants et de jeux. Ces célébrations étaient et sont toujours restées pour moi comme un rêve, de précieux moments d’idéal.
Lüleburgaz ne comptant pas de lycée, j’ai passé l’examen d’admission pour intégrer gratuitement un internat pour filles d’Istanbul. J'ai ainsi été admise au lycée pour filles de Kandilli, l'un des meilleurs de l’époque et disposant d’une riche bibliothèque. J’ai ensuite réussi l’examen d’entrée à l’Université technique d'Istanbul (İTÜ) et intégré la Faculté de Génie civil, seule étudiante sur les 180 étudiants admis. J’y ai rencontré Ersin Arıoğlu, qui allait devenir mon époux en 1966.
Une fois diplômée, j'ai travaillé au Ministère turc des Travaux publics pendant trois ans et conçu de nombreux projets d’écoles et hôpitaux. Ersin, pour sa part, est devenu assistant au cursus de Statique structurelle de l’İTÜ, réalisant par ailleurs des projets comme la restauration de la Tour de Galata. En 1965, Ersin et son ami Köksal Anadol ont créé la société d'ingénierie Yapı Merkezi, où j’ai poursuivi ma carrière après mon mariage. Nous avons fondé une famille de quatre enfants : nos trois fils sont devenus ingénieurs, notre fille est médecin et académicienne.
Aujourd’hui, je fête le 61e anniversaire de l'obtention de mon diplôme de l’İTÜ, et je travaille toujours avec le même plaisir et enthousiasme. Hélas, Ersin, mon époux bien-aimé, est décédé le 27 mars 2023, laissant derrière lui bien de beaux souvenirs et de réalisations éclatantes…
Madame Arıoğlu, nous connaissons votre engagement envers les enfants. Quelle a été votre motivation pour fonder les Écoles Irmak ?
Ces derniers temps, les violences subies par les femmes, les jeunes filles et les enfants sont en grande augmentation, ce qui est extrêmement triste et inquiétant. Ces actes de violence ébranlent drastiquement l’harmonie et la confiance de la société. Or, combien belles et confiantes étaient les relations humaines, familiales, amicales et sociales dans la ville de mon enfance, dans les premières années de la République ! La vie y était simple et pleine d’espoir. Tous les enfants étaient scolarisés selon leur âge et bénéficiaient d’une éducation égalitaire. Le taux d'alphabétisation de la population avait augmenté, car tous ceux qui voulaient apprendre à lire et à écrire pouvaient bénéficier des cours des écoles publiques créées par la République. Mais en étudiant les statistiques actuelles, l’on constate que la plupart des enfants qui devraient suivre l'enseignement obligatoire sont exclus de l’éducation. Les problèmes économiques croissants exercent une pression directe sur les familles à tous égards, et des milliers de familles ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école. Or, l’éducation est bien le meilleur investissement économique pour le développement d’un pays : la qualité de l’éducation que nous offrons à nos enfants aujourd’hui déterminera la qualité de vie de demain. Si nous voulons créer une société saine, nous devons nous focaliser d’abord sur l’éducation. L'implication des écoles Irmak au sein de la société d’ingénierie Yapı Merkezi repose sur le désir de créer un établissement d'enseignement exemplaire, fondé sur les principes de responsabilité sociale. Ainsi dans les écoles Irmak, nos élèves apprennent, en plus de leurs cours, qu'aider les écoles sœurs est une responsabilité sociale indispensable. Les projets de responsabilité sociale de nos enfants d'Irmak couvrent donc de nombreux domaines, allant de la protection de l'environnement aux relations humaines.
Suite de l’entretien dans le prochain numéro.