C’est à la suite de la publication d’une photo d’Istanbul sur sa page Instagram que j’ai contacté l’écrivain Metin Arditi. Il me répond aussitôt : il est effectivement à Istanbul, et je le rencontre à son hôtel quelques heures plus tard. L’écrivain de L’Île de la Française ou encore Le Bâtard de Nazareth revient avec une nouvelle œuvre : La Trilogie de Constantinople. Le premier tome, dont la publication est p
Tous les chemins mènent à Rome, parait-il. Les chemins de Metin Arditi le portent souvent vers Istanbul. Cela fait une vingtaine d’années que l’écrivain, âgé aujourd’hui de 79 ans, ressent le besoin d’un retour aux terres d’origine : la Turquie, ce pays qu’il a quitté à l’âge de 7 ans en laissant derrière lui famille, souvenirs et enfance. Avec sa dernière œuvre, La Trilogie de Constantinople, Metin Arditi plonge avec ferveur dans l’histoire de son pays. « C’est d’ailleurs le cinquième voyage que je fais en Turquie pour l’écriture de cette trilogie », lance-t-il gaiement. Il faut dire que l’homme d’affaires n’a jamais réellement délaissé ses terres. Déjà dans Rachel et les siens, publié en 2020, l’auteur accordait 150 pages de son œuvre à l’ancienne Constantinople. Des références élaborées en 2022 dans son Dictionnaire amoureux d’Istanbul. D’autres titres, comme Le Turquetto ou encore Mon père sur mes épaules, tous deux traduits en turc (Turquetto, publié aux éditions Can et Babam Omuzlarımda aux éditions Yapikredi) témoignent de son inaltérable attachement à son pays d’origine.
Pourquoi donc, maintenant, une trilogie, plus de 1200 pages sur l’histoire de Constantinople, qui devient Istanbul ? L’écrivain ne saurait l’expliquer. Metin Arditi évoque un sentiment profond, bien ancré et quasiment impossible à décrire. « L’écriture est une activité sournoise car elle s’impose profondément, sans que l’on s’en rende compte, détaille-t-il. Dans Loin des bras, paru en 2009, un de mes premiers personnages était turc : Gülgül. Au tout début, je pensais introduire cet homme comme un bouffon mais, au fil de l’écriture, je me suis rendu compte que ce personnage prenait une place de plus en plus importante. Il est devenu le cœur du récit, la personne la plus sensée de mon histoire. »
Metin Arditi ne fait pas les choses à moitié. Pour s’immerger et mieux comprendre son personnage, il se rend quelques jours à Istanbul. Nous sommes alors en 2007. Metin observe, regarde et prend note de ce qu’il voit. Dans le taxi retour en direction de l’aéroport, son cœur se serre de quitter cette ville qui lui est encore étrangère. « Je me suis mis à pleurer, confesse-t-il. Je n’avais jamais ressenti cela avant. J’ai grandi ailleurs, je ne m’attendais pas à m’y attacher. »
L’écrivain des minorités
Le peuple turc le passionne. Mais pas seulement. Metin Arditi l’affirme : il aime écrire sur ceux qu’il appelle « les minoritaires ». « Qu’ils soient juifs, arméniens, grecs… », énumère-t-il. Peut-être trouve-t-il l’origine de cet attrait dans son histoire personnelle : celle d’un enfant d’origine juive né dans un pays à majorité musulmane. D’un homme originaire de Turquie habitant en Suisse. En découlent des interrogations sur les positions sociales, ethniques et culturelles des minorités. Un besoin de réponses que le romancier s’efforce de trouver dans les livres et dans l’histoire. « Mes œuvres ont toujours un lien avec les grands évènements. Cela fait 15 ans que je suis dans le bain de l’histoire », assène le philanthrope. Sa dernière trilogie n’y fait pas exception. Ses trois volumes, s’étalant de 1912 à 2008, balaient le coup d’État ottoman, la loi sur le travail, le vote de la constitution turque…
Un homme engagé
Pour Metin Arditi, être turc est synonyme d’engagement. L’homme d’affaires se souvient d’une discussion avec un ancien ambassadeur de Suisse en Turquie. Ce dernier souhaitait créer un centre de la neutralité à Genève et avait alors convié l’écrivain à en faire partie. « Nous autres Turcs, nous ne sommes pas neutres. Nous sommes engagés par nature », avait alors répliqué l’auteur en déclinant l’invitation. Son implication actuelle est tournée vers le Moyen-Orient. L’homme connait bien le terrain pour y avoir créé une fondation : Les Instruments de la Paix, encourageant l’éducation musicale d’enfants de Palestine et d’Israël. D’origine juive, Metin Arditi soutient un dialogue entre l’État hébreu et la Palestine.
L’écrivain dresse une comparaison avec l’un de ses livres ayant suscité le plus de polémiques : Le Bâtard de Nazareth. Pour l’auteur, le combat de Jésus était de lutter contre la règle d’exclusion de la religion juive. « Car il en souffrait, explique-t-il. Je m’inscris également dans les pas de cet homme qui s’est rebellé contre son propre peuple. » Chaque fois qu’il publie un roman, son entourage le reconnait, lui, que ce soit dans une idée, un personnage ou encore des valeurs.
Or, malgré la ferveur de ses combats, le philanthrope sait qu’il n’écrit que selon sa subjectivité. Ses 1000 vies passées d’homme d’affaires, de physicien et de mécène lui ont toutes permis de s’accrocher à une chimère en recherche constante de vérité. « L’homme d’affaires qui fabrique ses pièces de boulanger sait qu’il ne peut pas s’arrêter car la concurrence va arriver. La vérité d’un écrivain est de donner vie à des personnages en sachant qu’il ne saisira jamsis complètement la condition humaine. » L’écriture romanesque est une constante leçon d’humilité.