Réaliser des maquettes a toujours fait partie des passe-temps favoris des enfants et adolescents. Mais en faire son métier exige beaucoup de passion ! C’est à Istanbul que j’ai eu la chance de rencontrer un maquettiste professionnel, Şara Tolayan, travaillant pour les musées, les grands hôtels ou les collectionneurs privés.
Comment devient-on maquettiste ? Il s’agissait d’abord d’un hobby de jeunesse. Son père, ingénieur en mécanique, chef d’atelier dans une firme de réparation des moteurs, l’emmenait souvent sur son lieu de travail et lui a appris à prendre des mesures, à dessiner, tracer des plans et utiliser tous types d’outils, dont les fraises. Quant à sa mère, elle laissait gentiment ses maquettes envahir peu à peu toutes les pièces de la petite maison qu’ils habitaient alors. C’est ainsi qu’il s’est mis à construire des aéromodèles qu’il faisait voler. Mais un jour où il s’était rendu dans une exposition de maquettes de bateaux, c’est en découvrant celle du Savannah qu’il a éprouvé une sorte de coup de foudre pour les réalisations navales. Ensuite, après des études aux Beaux-Arts en section textile, il a d’abord travaillé deux décennies dans la création de tissus imprimés sur coton. Sa manufacture présentait une étonnante particularité : il y avait tout fabriqué lui-même, même les moules de mise en forme du tissu et effectuait en personne toutes les opérations, depuis le dessin jusqu’au tissage. Cependant, en dehors de sa profession, il continuait à s’adonner à la vocation qui l’animait depuis toujours, en créant des modèles de bateaux mais aussi une multitude d’objets à la demande ; il explique, en effet, qu’avant l’ordinateur, les industriels faisaient élaborer la maquette de tous les objets qu’ils voulaient commercialiser ; il se souvient ainsi avoir façonné une brosse à dents, une tour Eiffel miniature, une lampe. Finalement, il a abandonné le textile pour se consacrer de façon professionnelle à la fabrication de modèles réduits de bateaux. Précisons que le nom de « maquette » peut juste désigner un objet décoratif fait en série, même à la main ; alors que les modèles qu’il confectionne sont des pièces uniques, répliques de l’original à l’échelle exacte et en état d’être utilisées.
Que crée-t-il essentiellement ? Des copies de navires ottomans ou de bateaux turcs de l’époque de la république. Cette entreprise demande d’abord une énorme collecte des sources, qui ne sont pas toujours faciles d’accès lorsqu’il s’agit de textes en langue ottomane ; de plus, jadis, le navire portait le nom de son capitaine et changeait de nom en changeant de direction, ce qui rend parfois l’original difficile à retrouver. Il approfondit ses recherches dans les archives officielles ou familiales, avec les gravures des musées, mais la plupart du temps, ne parvient pas à retrouver le plan original. De toute façon, le posséder ne signifie pas qu’on pourra refaire le bateau, car le premier exercice qui s’impose relève de l’ingénierie navale : dessiner un plan à l’échelle de façon millimétrique, avec tous les détails, ce qui demande environ deux mois de soin, aujourd’hui sur ordinateur. Quant à la construction du modèle, dont il fabrique lui-même tous les éléments, car très peu de pièces toutes prêtes existent, elle exige trois autres mois, jusqu’à la peinture, même si certains outils modernes, comme la colle super glue ou l’imprimante en trois dimensions, ont facilité la tâche.
Qui sont ses clients ? Un collectionneur passionné désirant le modèle réduit d’un célèbre navire du passé ; ou un propriétaire qui doit se séparer de son bateau et en fait faire la copie pour la mettre dans son salon en souvenir ; ou un armateur qui veut montrer à un client rebelle aux documents informatiques la maquette du yacht qu’il va lui vendre ; ou des musées, comme le Musée de la Mer, à Beşiktaş ou le Musée industriel Rahmi Koç, à Hasköy. Ou le Musée des maquettes Emre Kunt, à Bodrum, pour lequel il a participé, avec d’autres collègues, à la réalisation du modèle du croiseur turc Yavuz, qui fut à l’origine de l’entrée de la Turquie dans la Première Guerre mondiale.
Il exerce son métier dans un atelier spécialisé mais, comme lorsqu’il était enfant, a converti son appartement en chantier comportant à peu près tous les outils existants, pour pouvoir produire le modèle réduit de n’importe quel objet. Lui qui, seul ou en collaboration, a confectionné autour de deux-cents maquettes navales, en a-t-il gardé une seule ? Non, aucune, sa passion, c’est la création…