L’entreprise Uludağ İçecek Türk A.Ş., une histoire de transmission familiale

Depuis des décennies, l’entreprise Uludağ İçecek a bâti sa renommée sur la qualité de ses produits : son eau minérale naturelle, son eau de source naturelle gazeuse, ses eaux aromatisées, ses limonades et ses jus sans bulles. Elle compte une clientèle fidèle composée de toutes les couches de la société, en Turquie mais aussi à l’étranger dans plus de 40 pays. Nous avons voulu connaître l’histoire de cette entreprise

Par Dr. Mireille Sadège
Publié en Novembre 2024

Son président, Mehmet Erbak, nous a accueillis sur le site de production de l’eau minérale naturelle Uludağ situé près du village de Çaybaşı, à 600 mètres d’altitude sur le flan sud-ouest de la montagne Uludağ. Il a accepté de se plonger dans ses souvenirs afin de nous conter cette tradition centenaire transmise de père en fils.

L’entreprise Uludağ est une entreprise familiale. Tout commence avec votre grand-père qui, en 1930, décide de se lancer dans la production de boissons gazeuses…

Effectivement. Uludağ est née de la fusion de deux histoires : celle de la société des eaux minérales Keşiş Dağı (du nom du lieu où est située la première source acquise en 1870 et dont l’exploitation a été autorisée par le sultan Mehmet Reṣad en 1912) et celle de ma famille implantée à Bursa depuis plus de cinq siècles, dont le patronyme « Yağcızade » prouve l'attachement séculaire à l'agro-alimentaire. En 1930, mon grand-père décide de se lancer dans la fabrication de boissons gazeuses, qu'il va nommer Nilüfer du nom de la rivière qui alimente la ville de Bursa. Un an plus tard, mon père trouve la formule connue de tous de Uludağ Gazoz, sorte de limonade dont le terme vient du français « boisson gazeuse », qui va faire entrer progressivement l’entreprise dans la légende.

Vous êtes la troisième génération à vous occuper de cet héritage. Comment votre père vous a-t-il transmis l’amour de ce métier ?

Dans notre famille, la transmission va de pair avec l’éducation. Mon père, grâce à mon grand-père, a étudié au Collège américain d’Istanbul. À l’âge de 20 ans, il savait déjà parler l’anglais ‒ une qualité rare dans la Turquie des années 30, alors qu’une grande partie de la population turque ne savait ni lire, ni écrire.

Moi-même, j’ai passé les concours du lycée Saint-Joseph d’Istanbul où j’ai eu le plaisir d’apprendre le français, l’anglais et même l’italien. Depuis plus de 150 ans, nous prospérons donc grâce à l’éducation familiale : ma femme et nos enfants maîtrisent tous plusieurs langues.

Vous accordez une place importante à l’apprentissage du français également…

Je suis un amoureux de la langue française. Sur les conseils de mon père, je suis parti étudier en France, dans un IUT d'agro-alimentaire à Nancy. Puis en 1971, j’ai effectué mon stage à Vittel. De retour en Turquie, j’ai obtenu ma licence en sciences économiques et commerciales à l’Académie des Sciences économiques de Bursa. Et en 1975, dans notre nouvelle usine à Bursa, j’ai convaincu mon père de créer un laboratoire de microbiologie, le premier dans l’industrie turque des boissons.

La confiance semble être un vecteur clé de votre relation…

Tout à fait. Mon père m’a toujours fait confiance. À l’âge de 22 ans, il m’a donné procuration pour l’entreprise : un document que je garde encore précieusement dans mon bureau. Si je l’avais voulu, j’aurais pu disposer de toute la fortune familiale. Mon père m’a conféré liberté et pouvoir : des valeurs que je transmets également à ma famille. Aujourd’hui, la société est représentée officiellement par mon neveu et moi-même. Quand je pars pour une longue période, je donne une procuration complète à mes deux enfants et leurs cousins.

Cette histoire de famille commence dès le plus jeune âge. Comment vous a-t-on préparé à ce rôle ?

Toute mon enfance, j’ai grandi dans le monde des affaires. J’ai commencé à travailler aux alentours de mes douze ans, dans la quincaillerie de matériaux de construction de mon père. Dès l'âge de 16 ans, je passais mes étés à travailler dans la fabrique où j'ai appris à mélanger l'eau et le sucre, et à monter des nouvelles machines avec les techniciens italiens.

Je me suis préparé en côtoyant et en observant mon père tous les jours. Jusqu’au décès de ce dernier, nous avons partagé le même bureau. Nous recevions ensemble nos visiteurs. Au niveau personnel aussi, nous vivions dans le même immeuble.

Les années passent et les contextes évoluent. Qu’est-ce qui a changé dans l’exercice de votre profession depuis votre prise de fonction ?

Premièrement, notre système de contrôle de qualité. En 1975, nous disposions déjà du premier laboratoire de microbiologie. Même si nous étions alors à la pointe de la technologie, les systèmes ont évolué. Si autrefois nos contrôles étaient effectués tous les deux ou trois jours, aujourd'hui, ils se font plusieurs fois par heure. Notre centre de recherche et de développement est le premier centre du pays accrédité par le ministère de l’Industrie dans le secteur des boissons, eaux minérales et eaux plates.

Vous êtes un avant-gardiste en quelque sorte…

Déjà, en 1966, mon père l’était. Je me souviens d’une négociation pour l’achat de notre première machine automatique qui produisait 6 000 bouteilles à l’heure. Les pourparlers ont commencé à 11 000 dollars. Les deux hommes discutaient à 100 dollars près, comme s’ils se trouvaient au grand bazar d’Istanbul. Résultat : mon père a acheté la machine pour 9 600 dollars. Aujourd’hui, nous perpétuons cet héritage. Nos machines actuelles produisent 62 000 bouteilles à l’heure. Nous n’oublions pas notre histoire pour autant et conservons nos anciennes machines dans notre collection.

Votre entreprise côtoie de nombreux concurrents à l’échelle mondiale. Comment vous adaptez-vous au contexte actuel ? 

Je dirais que notre réussite est due à la qualité supérieure de nos produits, à notre savoir-faire dans notre profession, à l’amour et l’enthousiasme des nouvelles générations vis à vis de notre métier familial et traditionnel, et enfin à notre investissement permanent dans les nouvelles technologies. Car chez Uludağ, nous jouons la carte de la qualité et de la fidélité. Nous investissons sur la marque et la technologie. Depuis 2014, nous vendons des produits 100 % sans conservateurs. Nous avons également créé des centres de distribution dans toute la Turquie. Grâce à notre main-d'œuvre, nous servons toute notre clientèle, des épiceries aux restaurants. Et même à l’étranger. Je suis fier de dire qu’aujourd’hui, nous sommes les champions de l’exportation dans ce domaine.


Outre le contexte géopolitique mondial se pose aujourd’hui un problème local : la pollution de la ville de Bursa, chef-lieu de l’entreprise…

Bursa compte aujourd’hui plus de 3 millions et demi d’habitants, et il est vrai qu’à partir de 4 millions, la ville risque également de rencontrer des difficultés au niveau de l’accès à l’eau potable. Mais je suis fier de dire que la société BUSKI alimente un réseau d’eau potable, la meilleure parmi les métropoles de la Turquie. Mes amis qui travaillent dans la ville même ou dans la zone industrielle sont constamment soumis à la pollution. Mais en ce qui me concerne, je suis un industriel chanceux : nous avons deux usines en pleine nature, l’une à 300 mètres et l’autre à 600 mètres d’altitude sur les versants de la montagne Uludağ.

Quels sont les paris pour les années à venir ?

Nous avons un plan pour les cinq années à venir. Malheureusement, je ne peux pas en dire plus. Nous verrons et nous en discuterons au fur et à mesure. Je souhaite juste que cette entreprise reste dans la famille, et qu’elle soit transmise aux futures générations.