Hommage à Jacques Delors, figure française emblématique de la construction européenne (Un article de Hannah Berthomé)

L’homme politique français Jacques Delors est décédé mercredi 27 décembre 2023 à l’âge de 98 ans, à son domicile parisien. Ancien président de la Commission européenne, « Père de l’Europe », « Monsieur Euro », le social-démocrate a marqué la politique française et l’Union européenne pour de longues années à venir encore. Petit-fils de fermiers, il se démarque par une ascension sociale qu’il ne doit qu’à so

Par Aujourd'hui la Turquie
Publié en Octobre 2024

Un homme politique français guidé par un sentiment du devoir et de la justice

La vocation politique de Jacques Delors vit le jour entre le spectacle de la houle parlementaire du Paris de l’entre-deux-guerres et les paysages rocailleux du Massif central, où habitaient ses grands-parents paysans et où l’exode poussa sa famille durant quelques années. C’est cette région et sa famille qui lui ont inculqué une morale de labeur et de respect de la valeur de chaque objet, un sentiment du devoir et de la justice, pétri de convictions chrétiennes qui ne le quittèrent pas.

Jacques Delors s’engage dans des études de droit et d’économie politique, qui le mènent à débuter sa carrière à la Banque de France. Il est nourri par un sens de la responsabilité collective et s’investit rapidement dans le syndicalisme. Il devient alors très actif au sein de l’ancêtre de la CFDT (la CFTC) et l’infléchit vers davantage de socialisme démocratique tout en prônant une déconfessionnalisation du syndicat.

En tant que membre du parti socialiste, Jacques Delors devient proche du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. De 1969 à 1974, il est secrétaire général auprès du Premier ministre pour la formation professionnelle et la promotion sociale. Il élabore notamment les contrats de progrès, tout en inspirant la loi de 1971 sur la formation professionnelle continue. Jacques Delors donnait ainsi une importance considérable à la pédagogie et à la formation : en tant que professeur de gestion à Paris Dauphine, il était passionné par les enjeux de transmission et d’éducation. Il fut d’ailleurs l’un des instigateurs du projet Erasmus. De 1981 à 1984, il devient ministre de l’Économie, des Finances et du Budget sous le mandat de François Mitterrand. Sa politique financière est marquée par la rigueur, la relance, et une lutte contre l’inflation et pour l’équilibre monétaire.

Malgré une certaine popularité, l’homme politique ne courait pas après les mandats. Donné favori par les sondages pour l’élection présidentielle de 1995, il renonce pourtant à se présenter. Il refusait en effet de briguer un rôle qu’il ne se sentait pas capable d’investir pleinement, faute de soutiens politiques suffisants à ses projets de réforme.

L’un des Pères de l’Europe

Jacques Delors devient président de la Commission européenne de 1985 à 1994. Le quotidien belge La Libre Belgique estime que sans lui, « l’Europe ne serait aujourd’hui qu’une petite institution bureaucratique, poliment consultée par les grands pays, mais à l’écart des grandes décisions ». L’homme politique français s’érige en effet comme l’un des plus importants acteurs de la construction européenne. Il est nommé président de la Commission alors qu’il est maire de Clichy-la-Garenne. Il bénéficiait à l’époque d’une expérience de député européen de 1979 à 1981. Son long mandat au sein de la Commission a permis de donner naissance aux accords de Schengen, à ceux de Maastricht, à l’intégration de l’Espagne et du Portugal, ou encore à l’accueil des Allemands de l’Est après la chute du rideau de fer. Il a ainsi œuvré sans relâche pour l’unification, en instaurant la libre circulation des capitaux, des marchandises et des peuples, en réformant la politique agricole commune, en combattant les réticences pour faire naître l’Euro ; tout cela porté par une vision humaniste de la liberté et de l’échange par-delà les particularités nationales.

L’ensemble de la presse internationales et des politiques ont ainsi rendu un hommage unanime à Jacques Delors mercredi 27 décembre. Même le tabloïd eurosceptique britannique The Sun qui avait affiché son hostilité au père de l’union monétaire (« Up yours Delors »), a reconnu en lui « un homme politique passionné et un bosseur ». Le New York Times déclare quant à lui qu’il était « rempli d’une énergie débordante et ayant la réputation de faire tout ce qu’il fallait pour parvenir à un accord ». Avec son décès, l’Europe perd ainsi un artisan infatigable et la France, une figure tutélaire de la scène politique depuis quarante ans.