à€ l'heure de grande écoute, Burak Tatari présente la matinale d'une des chaînes de télévision les plus regardées du pays, Sözcü TV. (un article de Clara Marque)
Connu du grand public, apprécié pour ses analyses internationales, le journaliste emmène Aujourd'hui la Turquie derrière le décor et fait la lumière sur les coulisses d'un plateau.
Le réveil sonne à quatre heures du matin. Istanbul est encore endormie, mais Burak Tatari s'affaire : il enfile sa cravate. Bleue, rouge, selon les jours. En une demi-heure, il a rejoint le studio de Sözcü TV, à seulement quelques mètres de son appartement. Il passe les portes de la rédaction et retrouve ses collègues, un café à la main. Avec lui, deux éditeurs et un producteur préparent l'émission de 7 heures, Sabah Kahvesi (« Le café du matin »). Que s'est-il passé dans le monde ? Libération, The New York Times, Cumhuriyet, nouvelles et tweets... les journalistes passent en revue les actualités, prennent des décisions éditoriales et préparent l'allocution médiatique. à€ six heures et demie, c'est l'heure du thé. Pas d'étape maquillage pour Burak Tatari, mais quelques dernières finitions dans les loges. Puis vient l'heure de l'antenne : générique, « Gunaydin, Iyi Gunler, Iyi Sabah », répète tel un refrain le présentateur d'une des émissions les plus regardées de Turquie.
Burak Tatari présente la matinale de Sözcü, dont il est devenu le nouveau symbole depuis l'année 2024. Pour analyser les informations internationales, ce jeune social-démocrate a l'avantage de parler plusieurs langues, dont le turc, l'anglais et le français. Des compétences acquises grà¢ce à ses études au lycée Saint-Joseph à Izmir puis lors de son master en sciences politiques à l'université Galatasaray. à€ 36 ans, le journaliste a travaillé pour l'hebdomadaire Tempo, pour la chaîne de télévision alternative Medyascopte et enfin Halk TV, avant de passer les portes de Sözcü. Ce média, créé dans la foulée du journal du même nom fondé en 2007, s'impose comme une chaîne kémaliste et séculariste d'opposition au parti de Recep Tayyip Erdoğan, l'AKP. Se présentant comme un des principaux medias du pays, Sözcü devient en 2026 le quatrième journal le plus imprimé, avec 288 649 exemplaires tirés chaque jour.
Pour le présentateur, l'idéal du journalisme est de « montrer ce que tout le monde ne peut pas voir ». àŠtre un miroir du monde pour les téléspectateurs, c'est ce qui l'a poussé à décrypter les informations internationales. « J'essaye d'adopter différents points de vue et opter pour la nuance, afin de permettre aux personnes de se faire un avis », explique le commentateur. Le journaliste confie être très attentif pendant l'émission, en reconnaissant sa responsabilité : « Si je me trompe, si je fais une faute, je mets en péril les trente personnes qui travaillent avec moi mais qu'on ne voit jamais ».
En matière de liberté d'expression, Burak Tatari connaît des détours pour éviter l'autocensure : « Si mon propos est trop risqué, j'emprunte la vision de quelqu'un d'autre et je le cite. Il faut trouver d'autres formules indirectes : dire les vérités par d'autres vérités ». Bien que la censure soit une réalité planant sur le métier, Burak Tatari reconnaît une différence par rapport aux risques encourus par les journalistes d'investigation : pour eux la prison, pour lui, des difficultés d'embauche. Il fait le lien avec le contexte politique : « Quand l'opposition gagne, nous avons plus de possibilités d'emploi. Quand on regarde les résultats des dernières élections, on sait qu'on a été écouté », là¢che-t-il avec un sourire. Chaque 19 Mai, Sözcü publie un journal vide : dans les kiosques, seules des pages blanches avec le nom des journalistes y sont imprimées pour dénoncer les restrictions en matière de liberté d'expression.
Pour un journal et une chaîne de télévision de grande écoute, la pression des chiffres est une autre réalité. « Sözcü veut des personnages de télévision, ses présentateurs deviennent les enfants des grands-mères et on finit par faire partie de la famille », explique l'employé de cette chaîne populaire. Pour
créer une relation avec l'audience, c'est avant tout de l'émotion dans l'émission.
En parallèle à cette vie de plateau, Burak Tatari rêve de terrain. Un paradoxe pour un caméléon du studio, où reportages et images du réel sont projetés depuis une boîte noire. Lorsque les tensions éclatent à partir du 7 octobre, le journaliste fait tout pour se rendre sur place. « Aucun collègue turc n'était sur le terrain, il fallait rapporter les faits. C'est la nature de notre métier », déclare-t-il. Il ira jusqu'à changer de média pour réaliser son objectif : fraîchement employé par Sözcü, la chaîne l'envoie à Jérusalem, Ramallah et Tel-Aviv pour diffuser ses directs. Pouvoir donner la parole aux Palestiniens, rencontrer des Israéliens et couvrir les conséquences de la riposte israélienne pour les habitants de Jérusalem et de Cisjordanie, c'était « le sommet » de sa carrière.
Clara Marque