Le temps passe à une vitesse vertigineuse. Peu de choses pourtant séparaient notre enfance de celle de nos parents. Alors qu'on en avait une impression tout à fait inverse.
Quand j'étais petit, nous avions un petit cahier bleu marine à cà´té du téléphone fixe dans le salon. Il fallait, d'abord, chercher le nom, puis le numéro de notre interlocuteur. On comptait souvent nos minutes, car passer un appel à un proche résidant dans une autre ville que la và´tre pouvait vite nous coûter cher. Puis les téléphones portables ont fait leur irruption dans notre vie. Ensuite, l'internet. Quotidien, présent et omniprésent... Nous ne nous sommes même pas rendu compte de la vitesse avec laquelle nous avons été pris au piège. Pourtant, nous avons connu ces différentes époques. Aujourd'hui, dix minutes de coupure de connexion signifient la fin du monde pour beaucoup d'entre nous. Un cauchemar !
Malgré cette vitesse vertigineuse d'hyperconnectivité, je persiste à dire que peu de choses finalement séparaient notre enfance de celle de nos parents. Car nous n'avions encore rien vu de ce qui est en train de se passer dans le domaine technologique. Les pas nous menant à ce qui se prépare sont gigantesques.
Cela faisait déjà un moment que les appareils de notre quotidien nous avaient enlevé, dans notre univers d'adulte, l'inattendu, la surprise, le nouveau, l'inconnu. Le hasard, quant à lui, est bien au point de disparaître des dictionnaires.
Des informations dans les médias à nos choix dans les supermarchés en passant par nos choix politiques, tout y passe. Dans ce nouveau monde, la connectivité régit tout, les algorithmes règnent sur tout. Ils influencent tout et à tout moment. D'une boîte de conserve à un candidat présidentiel ou un verre Tinder jusqu'à notre accès aux services publics les plus essentiels, tout entre dans ce nouveau champ qui a sa propre logique, sa propre vérité et est ouvert à toute sorte de manipulation. Et nous, nous sommes totalement démunis face à cela.
Lorsque j'ai évoqué ce sujet pour la première fois, la Biennale de Design d'Istanbul nous interrogea : Biz insan mıyız ? Sommes-nous donc des êtres humains ?
La question devient de plus en plus pertinente à l'aube du fameux phénomène du moment : ChatGPT, un tout nouveau programme d'intelligence artificielle ouvert à tous et accessible gratuitement sur internet. Vous lui posez des questions, et puis vous attendez que ce petit robot vous réponde en détail et en bon français.
D'une question sur l'impact de la crise chypriote sur les relations turco-britanniques à une autre concernant le meilleur rappeur français en passant par les sujets de partiels présentés à la fac, l'éventail est infini et notre petit robot a toujours une réponse qu'il élabore selon une technique très développée qui consiste à scanner des millions de textes précédemment publiés sur Internet.
C'est hallucinant ! On comprendra aisément que ça fascine certains et que ça effraie d'autres. Le monde du droit s'en est déjà emparé comme primordial sujet de recherche et de réflexion. Car le nouveau robot bouscule trop de fondamentaux de nos manières de pensée actuelles.
Subsistera pourtant une question, une question à laquelle nous sommes peu sûrs de recevoir une réponse de la part de notre nouvel ami :
« Biz insan mıyız ? » Sommes-nous bien des êtres humains ?
Ali Türek. 3336