Efruz à‡akırkaya est la directrice du plus grand et prestigieux festival de musique de Turquie, organisé depuis 1972 à Istanbul.
à€ quelques jours du début de la 52e édition du Festival, nous avons rencontré cette passionnée de musique classique qui œuvre depuis 2008 au sein de la Fondation pour l'Art et la Culture d'Istanbul (IKSV), au service du Festival de Musique d'Istanbul d'abord en tant que directrice adjointe, et depuis 2018 en tant que directrice. Rencontre avec une femme enthousiaste et haute en couleur.
Pouvez-vous nous parler de votre carrière ?
Je suis diplà´mée en langue et littérature italiennes, mais j'ai toujours été passionnée de musique classique ; parallèlement à mes études, j'ai reçu une formation en piano et en guitare classique, et j'ai aussi suivi les cours de chœur polyphonique. Après un master de langue et communication à Florence, je suis revenue à Ankara, et grà¢ce à une amie qui connaît ma passion pour la musique classique, j'ai trouvé un travail à l'Orchestre symphonique de Bilkent. Après avoir travaillé avec l'orchestre pendant six ans, j'ai décidé de venir à Istanbul. J'ai alors contacté Yeşim Gürer qui avait créé la salle de concert Ä°ş Sanat et organisait son programme artistique, et avec qui j'avais déjà eu l'occasion de collaborer à l'époque. Entre temps, Yeşim Gürer était devenue la directrice du Festival de Musique d'Istanbul organisé par la Fondation pour la Culture et l'Art d'Istanbul (IKSV). Elle m'a tout de suite proposé le poste de directrice adjointe, et c'est ainsi que je suis arrivée à Istanbul en 2008. Nous avons passé dix années formidables à travailler ensemble coude à coude. J'ai appris beaucoup d'elle, et je puis dire qu'elle est mon mentor. Je l'admire beaucoup, et elle est un exemple pour moi. Puis à la fin de sa dixième année dans cette fonction, Yeşim s'est vu proposer le poste de directrice générale adjointe de la Fondation. Je suis alors devenue directrice du Festival. Mais l'idée de quitter Yeşim et d'assumer seule cette responsabilité me terrifiait, car il s'agit du plus grand festival de musique de Turquie. Mais les responsables m'ont dit : « Vous pouvez le faire, nous croyons en vous. » Ainsi, en 2018, je suis devenue directrice du Festival de Musique d'Istanbul.
Quels sont les ingrédients d'un festival réussi ?
Je dirais : quelques grands concerts d'orchestre, un orchestre de chambre, du jazz ou de la musique du monde qui plaira au public, de la musique traditionnelle turque, un programme pour enfants, un projet qui soutient les jeunes musiciens, des concerts gratuits. Un festival est en fait une grande fête, et les projets doivent être enthousiasmants.
Je voudrais préciser que ce festival ne serait pas possible sans les aides de Borusan Holding, notre sponsor principal, celles de nos sponsors de spectacles qui nous soutiennent depuis des années, sans les centres culturels étrangers, sans les fonds, sans nos membres Lale Card, sans le public qui achète les billets et fait en sorte que ce festival continue d'exister.
La ville d'Istanbul vous offre de belles possibilités en termes de salle de concert. Quelle est son importance pour le Festival ?
Je dirais qu'elle est la marque de fabrique du Festival de Musique d'Istanbul. Istanbul est cité à la fois dans le nom de notre institution, et dans l'intitulé de notre festival. Ce qui fait d'Istanbul une marque, c'est incontestablement son inestimable patrimoine culturel. Il est donc important d'associer le contenu du festival à ce patrimoine culturel, de les faire dialoguer et ainsi les sublimer, pour que cela crée de l'enthousiasme.
Existe-t-il un thème propre à chaque festival ?
Oui. Depuis de nombreuses années, nous organisons le festival autour d'un thème, ce qui nous permet d'enrichir davantage la programmation par la commande de nouvelles œuvres spécifiques. De même, nous sélectionnons des répertoires liés à ce thème.
Cette année, le festival a pour thème les « Racines ». Ce choix a été fait suite à ma rencontre avec Dimitris Skyllas, compositeur grec de renom, en 2018. Comme vous le savez, dans le cadre du Traité de Lausanne signé en 1923 a été conclu un accord d'échange de populations entre la Turquie et la Grèce. Dimitris Skyllas et moi avons pensé qu'il est de notre devoir d'honorer nos aïeux en commémorant cet événement à l'occasion de son 100e anniversaire. Parce que c'est une histoire douloureuse, qui nous relie les uns aux autres. Dans ce cadre, nous avons commandé des œuvres à un compositeur grec et à un compositeur turc. Dimitris Skyllas écrit une nouvelle œuvre pour accordéon, trombone et percussions. Le compositeur turc Onur Türkmen écrit également une pièce pour l'ensemble Nermin Kaygusuz. Dans la première moitié de ce concert, nous écouterons le travail de Dimitris et dans la seconde, celui d'Onur. Ce concert aura lieu au Musée maritime de Beşiktaş : le choix du lieu aussi un message, car l'échange s'est fait entièrement par voie maritime.
Quels seront les autres moments forts du festival ?
Le Chœur national hongrois et l'Orchestre philharmonique Borusan d'Istanbul interpréteront le Requiem de Mozart au Centre culturel Atatürk. L'Orchestre du Festival de Budapest, l'un des dix meilleurs orchestres au monde, se produira au Centre culturel Atatürk sous la direction de son directeur musical Ivan Fischer, avec en soliste le pianiste Francesco Piemontesi. Toujours sur la scène de l'AKM, le violoncelliste français Edgar Moreau et l'Orchestre philarmonique Tekfen sous la direction d'Aziz Shokhakimov. Sans oublier la première de Borusan Quartet et Synergy vocals dans la salle d'Opera Sürreya.
Et comment s'opère le choix des musiciens pour le festival ?
Grà¢ce aux festivals à l'étranger et les chaînes de musique classique, les mélomanes connaissent les grands noms, et lorsqu'ils les voient à l'affiche du Festival, ils viennent à leur concert. Inviter les étoiles de la musique classique, c'est donc important. Mais il est tout aussi important de repérer les jeunes espoirs et de les présenter au public.
Par ailleurs, depuis 2010, nous commandons chaque année au moins une œuvre à des compositeurs turcs et étrangers. Il s'agit d'une mission essentielle, car les compositeurs racontent les histoires de l'époque dans laquelle nous vivons.
Nous programmons aussi de la musique contemporaine, ce qui déstabilise quelque peu le public de musique classique. Mais faire en sorte que le public écoute cette nouvelle musique et l'aime, fait aussi partie de nos missions. Cette année, nous avons commandé une œuvre à Steve Reich, l'un des pionniers de la musique minimaliste et l'une des légendes vivantes de notre époque.
Allez-vous poursuivre les tarifs spéciaux étudiant ?
Les étudiants du conservatoire assistent gratuitement à tous les événements, et il y aura un tarif spécial pour les autres étudiants.