L'art contemporain était censé être pour tout le monde. Né d'un désir de rendre l'art plus accessible, il promettait de démolir les murs élitistes des musées et des galeries.
Aujourd'hui, avec l'art à portée de clic grà¢ce aux plateformes numériques, cette promesse semble plus proche que jamais. Pourtant, je m'interroge : l'art contemporain est-il vraiment devenu accessible à tous, ou reste-t-il le privilège de quelques-uns ?
Malgré la disponibilité des plateformes numériques, l'art contemporain reste majoritairement une affaire des classes supérieures. Des études montrent que les inégalités socio-économiques continuent d'influencer la participation à la culture de l'art.
Le fossé entre l'accès numérique et la compréhension réelle de l'art contemporain s'explique en grande partie par la nature de l'art lui-même et par le capital culturel nécessaire pour l'appréhender. L'art contemporain, souvent caractérisé par son abstraction et sa conceptualisation poussée, requiert pour être pleinement apprécié une certaine éducation artistique. Ce type d'éducation reste malheureusement souvent hors de portée de ceux qui n'ont pas les moyens économiques ou l'exposition culturelle préalable. Ainsi, même si les œuvres sont techniquement accessibles en ligne, la capacité de les interpréter et de s'y connecter émotionnellement peut être limitée, perpétuant dès lors une forme d'exclusion plutà´t que de démocratisation.
Alors, pourrait-il se faire que l'art contemporain se soit transformé en un mouvement artistique qui prétend promouvoir l'égalité, mais qui en réalité aggrave les inégalités ? Autrefois, les personnes qui regardaient les œuvres de Picasso en disant : « Moi aussi, je peux le faire », faisaient l'objet de railleries. Pour de nombreux amateurs d'art, comprendre et apprécier une œuvre d'art que le public ne comprenait pas procurait un bonheur supplémentaire. Aujourd'hui, cependant, il est de plus en plus courant de regarder certaines œuvres d'art contemporain et de penser : « Je pourrais vraiment faire ça ». Le monde de l'art connaît une augmentation des œuvres qui manquent de fondements philosophiques, politiques ou sociologiques profonds et qui sont fortement influencées par la culture populaire. L'essor des NFT, les investissements par des stars de télé-réalité et des rappeurs ayant une éducation formelle minimale dans des pièces d'art liées à la culture populaire (comme des panneaux de basket ornés de cristaux par David Hammons), parmi d'autres tendances, suggèrent que l'art contemporain occupe une position unique et quelque peu controversée parmi les mouvements artistiques historiques.
Si les individus appartiennent à une communauté qui valorise et discute de l'art, ils sont plus susceptibles de développer un intérêt et une appréciation pour celui-ci. De nos jours, une des raisons de la diminution de l'intérêt pour l'art contemporain parmi certaines classes sociales qui en étaient auparavant éloignées est justement ce manque de réseaux sociaux engagés dans l'art.
D'autre part, il y a aussi des nouveaux riches qui utilisent leur intérêt pour l'art contemporain pour socialiser, pénétrer de nouveaux cercles sociaux et être acceptés par certaines élites. Ce phénomène n'est pas nouveau et a souvent été observé au cours de l'histoire. Il est courant de voir des investissements dans l'art opérés dans le but de monter socialement, et l'art contemporain pourrait faciliter ce processus. Les œuvres faisant référence à la culture populaire sont souvent achetées par des célébrités qui contribuent à cette même culture. Cela rend l'art contemporain très attractifs pour les acteurs de la culture populaire, tout en le rendant parfois dénué de sens pour nous.
Je crois que j'ai une petite dent contre l'art contemporain ces temps-ci... Je vais continuer à réfléchir et à écrire sur ce sujet.
Sırma Parman