Le chef de l'État, Emmanuel Macron, a fait son choix : c'est Nicolas Lerner, l'actuel patron de la DGSI (direction générale de la Sécurité intérieure), qui va succéder à Bernard Emié à la tête de la DGSE (direction générale de la Sécurité extérieure). (un article de Hannah Berthomé)
Après un mandat particulièrement long – à deux mois près, il battait le record – Bernard Emié, à¢gé de 65 ans et en poste depuis 2017, quitte en effet le service. D'ambassadeur à chef des services secrets, retour sur un parcours trépidant consacré à la protection de la France.
Alors que les Jeux olympiques arrivent à grands pas et que beaucoup craignent que la sécurité ne soit pas assurée de façon optimale, le milieu du renseignement a d'abord considéré qu'il fallait éviter tout mouvement à la tête des deux principaux services de renseignement français, et ce au moins jusqu'à la fin des Jeux. Cependant, Emmanuel Macron a changé d'avis. Au cours des deux dernières années, la DGSE a été le terrain d'accumulation de déconvenues : les renseignements n'ont pas vu venir les coups d'État en Afrique (Mali, Burkina Faso, Niger), ou encore se sont fait berner par les Britanniques et les Américains sur le contrat des sous-marins d'attaque dénoncé par l'Australie. Goutte d'eau qui fit déborder le vase : dans un discours début décembre, Bernard Emié demanda à des dirigeants du Hezbollah de retirer des troupes près de la frontière israélienne. Au même moment, quatre agents de la DGSE se faisaient arrêter au Burkina Faso. C'est dans ce contexte qu'Emmanuel Macron jugea qu'il était urgent de remanier la direction des services secrets extérieurs.
Bernard Emié, un diplomate brillant
Bernard Emié est diplomate de formation. Après s'être assis sur les bancs de Sciences Po, il intègre l'ENA du premier coup, où il cà´toie d'ailleurs Catherine Colonna, la précédente ministre des Affaires étrangères. Son parcours est brillant et tout semble alors lui réussir. à€ sa sortie de l'ENA en 1983, il choisit de s'orienter vers une carrière diplomatique et devient secrétaire des Affaires étrangères. Il est alors pris sous les ailes des diplomates gaullistes, devient conseiller ministériel à deux reprises, puis collaborateur de Jacques Chirac lors de son mandat de président de la République.
En 1998, il est envoyé en Jordanie où il est nommé pour la première fois ambassadeur. Expert en géopolitique du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, Bernard Emié est reconnu pour ses capacités d'analyse ultrarapides. Ceux qui le connaissent affirment que malgré son apparence froide, jugée parfois hautaine, il est d'une fidélité sans faille. Jacques Chirac est au fait de ses compétences hors du commun et, ayant besoin d'un homme de confiance au Liban, l'envoie alors prendre son deuxième poste d'ambassadeur à Beyrouth. Sa carrière de diplomate ne s'achève pas là : Bernard Emié sera également ambassadeur de France en Turquie, au Royaume-Uni, puis en Algérie. Il présenta en effet ses lettres de créance au président turc Abdullah Gül en 2007, et devint alors lecteur fidèle d'Aujourd'hui La Turquie.
Un poste d'ambassadeur aux États-Unis lui sera proposé plus tard, qu'il refusera en déclarant : « Je traite avec des chefs d'État, je ne vais pas aller à Washington proposer des petits fours à des ministres ». Il était en effet à ce moment-là chef de la DGSE, et sans doute l'un des cinq hommes les plus puissants de l'État.
Six années à protéger la France dans l'ombre
Après la prise de décision finale lors du conseil des ministres du mercredi 20 décembre, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé sur X qu'il était « l'heure d'ouvrir une nouvelle page dans l'histoire de la DGSE ». Bernard Emié avait pris ce poste de direction en 2017. Il y a entrepris des réformes majeures au sein du service, et a placé l'intelligence économique comme priorité. Il s'est montré ambitieux et a constamment souhaité améliorer le fonctionnement de la DGSE. Il est par exemple à l'origine du déménagement des services secrets au Fort Neuf de Vincennes, prévu en 2028.
Bernard Emié, homme brillant, semble avoir été le pà´le d'attraction des conseils de défense tout au long de son mandat. Selon l'un des participants, « il prenait la parole après le ministre des Affaires étrangères, puis le ministre des Armées, et il était souvent beaucoup plus brillant ». Toujours nimbé de cette réputation, il aura fait preuve, en toutes circonstances et pendant toute sa carrière, de son principal trait de caractère : la loyauté. Il a en effet relayé les messages du ministre des Armées concernant la nomination de son successeur, Nicolas Lerner.
Hannah Berthomé