126 000 personnes : c'était le nombre d'Iraniens installés à Istanbul en 2020. Une frontière, des traits culturels ou une langue turcique (l'azéri) : la Turquie et l'Iran ont des ponts communs, que les Iraniens empruntent de plus en plus au vu des facilités d'entrée sur le territoire. (un article de Clara Marque)
Bien que les réalités sociales diffèrent selon les migrations, la diaspora iranienne trouve massivement refuge en Turquie. Partons à la rencontre d'une de ces familles immigrées, qui rend public son quotidien sur YouTube en montrant les contours d'une immigration « plus sûre ».
Outre les États-Unis, le Canada, l'Australie, l'Allemagne ou les Émirats arabes unis, la Turquie est l'un des pays qui compte le plus d'immigrés iraniens. Depuis 1995, au départ de l'Iran, une nouvelle vague de migration causée par le déclin de l'économie et la recherche d'opportunités professionnelles arrive en Turquie, cet axe migratoire majeur. Pour les migrantes, le confort de vie permis par la Turquie attire des familles de classes moyennes et supérieures. C'est le cas d'Abdollah Moghaddamy, 43 ans, sa femme Leila et sa fille Negar, qui ont quitté Téhéran pour Istanbul il y a deux ans.
Au cœur du quartier de Beylikdüzü, l'appartement duplex opulent de la famille Moghaddamy révèle la mémoire de leur pays d'origine. L'Iran est partout. Du tapis persan aux fleurs teintées de rouge carmin jusqu'à la poterie artisanale qui ornemente le buffet, chaque détail revêt la richesse de leur passé. à€ Téhéran, M. Moghaddamy était conférencier et auteur de livres de poésie persane, sa fille étudiait dans un lycée prestigieux. « Notre quotidien en Iran était plutà´t similaire, avec une vie de famille confortable » explique Leila, l'épouse de M. Moghaddamy. Pour « de nombreuses raisons », ils ont quitté leur terre natale pour la vie stanbouliote. « Nous nous y sentons comme à la maison. Comme les Turcs et les Iraniens ont beaucoup en commun, nous n'avons pas vécu de choc culturel à notre arrivée », raconte Abdollah Moghaddamy. Très populaire sur les réseaux sociaux, le hashtag #Normal_life est partagé ces derniers mois par les ressortissants iraniens pour témoigner de leur bonne intégration à l'étranger. Une migration qui semble précisément très positive pour la famille Moghaddamy qui a eu les moyens d'en surmonter les difficultés, comme en témoigne Negar, 19 ans : « Si l'Iran nous manque trop, en un clic, on prend un billet pour Téhéran et on y retourne, c'est à cà´té ». Si le passage à la frontière est souple ‒ les Iraniens bénéficiant notamment de 90 jours de voyage en Turquie sans visa ‒.
Les au revoir, les valises et l'installation... Plusieurs milliers de personnes ont pu suivre leurs péripéties sur YouTube. Tous les membres de la famille, du père au frère, Mehdi, jusqu'à la grand-mère, Nahid, ont créé leur propre chaîne YouTube il y a trois ans, aux contenus variés entre cuisine, littérature et vie quotidienne. « C'était l'opportunité de partager ce qu'on a vécu, de montrer la vie iranienne et d'apprendre à connaître d'autres personnes », explique Mehdi qui ajoute que « se faire des amis dans un nouveau pays est difficile ; sur internet, il y en a des milliers ». Les followers sont en grande majorité iraniens du fait de la langue utilisée dans les vidéos, le farsi. « C'est un moyen de rester connectés avec notre société » déclare Abdollah Moghaddamy, auteur de 13 livres et qui utilise sa chaîne comme galerie culturelle en partageant du contenu sur la poésie persane. « On est tellement fiers de porter en nous les couleurs de l'Iran, nous continuerons toujours d'inspirer autour de sa culture, son architecture, son histoire si particulière » ajoute-t-il. Car l'inspiration, dans le monde de l'influence, peut avoir des impacts sur son audience. Selon M. Moghaddamy, « Si beaucoup de personnes iraniennes veulent partir en Turquie, c'est aussi car de nombreux youtubeurs comme nous le montrent sur internet ». En toile de fond de la vie quotidienne, leurs chaînes YouTube dressent un discours sur la migration. En cela, le simple témoignage d'une vie à l'étranger peut se transformer en rêve, en projet. Consciente de cette réalité, la famille Moghaddamy montre les bons et les mauvais cà´tés de la migration : « Nous préférons que les Iraniens restent dans notre mother land, mais nous souhaitons aussi partager ce savoir et montrer une immigration plus sûre », conclut le père de cette famille aisée.
Clara Marque