Le dernier film de la réalisatrice française Justine Triet, Anatomie d'une chute, a remporté la Palme d'or en 2023, deux Golden Globes en janvier à Hollywood et vient de remporter le prix du meilleur scénario original aux Bafta 2024. (un article de Irem Böke)
à€ la fois thriller judiciaire et drame psychologique, le film est un collage de différents styles, expliquant son potentiel culte.
La vie ordinaire de Sandra, Samuel et Daniel, leur fils malvoyant, qui vivent dans un chalet des Alpes françaises, est bouleversée par la mort de Samuel. Sandra est une écrivaine à succès, et Samuel un ancien universitaire et un écrivain en manque de créativité qui rénove leur chalet pour le transformer en Airbnb afin d'en tirer un revenu supplémentaire. Le film commence avec l'interview de Sandra par une étudiante, tandis que Samuel, à l'étage en train de rénover, diffuse une musique en boucle sur son enceinte. Le volume du son est tel que Sandra doit interrompre l'interview. Leur fils Daniel part promener leur chien. Mais à son retour, il trouve son père mort dans la neige, devant la maison.
Accident, suicide ou meurtre ? Une enquête est immédiatement ouverte, et Sandra est la seule suspecte. Sandra demande à un ami d'être son avocat et à partir de ce moment, le film se déroule principalement dans la salle d'audience.
Chaque scène nous révèle une information supplémentaire sur les personnages, et nous fait progresser pas à pas dans les profondeurs de leur vie intime et de famille. Chaque détail sur la vie privée de Sandra est partagé dans la salle d'audience, même devant son fils, ce qui donne l'oppressante impression de lire secrètement le journal intime de quelqu'un.
L'une des révélations sur le mariage du couple est que Samuel se tient pour responsable de la perte de la vue de leur fils Daniel à la suite d'un accident survenu il y a des années, et que la dynamique de leur mariage a changé du tout au tout après cet événement. La possibilité d'un suicide est alors évoquée, mais le thérapeute de Samuel témoigne qu'il n'était pas suicidaire. Plus tard est dévoilé un enregistrement vocal réalisé par Samuel et où l'on entend le début d'une dispute du couple. L'altercation devient violente, mais la seule audition de cet enregistrement ne permet pas de déterminer à qui imputer les faits de violence. Pourquoi Sandra a-t-elle caché à la police et à son avocat qu'ils s'étaient disputés juste avant la mort de son mari ? Pourquoi Samuel a-t-il enregistré cette dispute ? Toute relation ayant deux faces, il y a donc deux histoires différentes...
Tout au long du film, à chaque nouvelle preuve et à chaque question posée par l'avocat, le spectateur est tiraillé entre le dilemme du suicide et celui du meurtre, et se retrouve à la place du juge. Certaines questions resteront en suspens, même après la fin du film.
Dans les scènes du tribunal, la caméra, placée de temps en temps derrière l'épaule de Daniel, évalue la relation entre une mère et son fils, faisant ressentir au spectateur l'impuissance de Sandra et le dilemme émotionnel de Daniel face à la situation de sa mère. D'autant que l'inhabileté de Sandra à s'exprimer en français, créant une barrière linguistique lors de son procès en France, augmente la tension déjà palpable.
Et l'une des dernières scènes du film fait vivre au spectateur les sentiments mitigés que les protagonistes peuvent ressentir à l'issue d'un procès. Qu'attendait-on vraiment ? A-t-on « gagné » ou pas ? Peut-on se réjouir ou pas ? à€ l'issue d'un tel procès, il n'y a en fait rien à gagner.
En conclusion, Anatomie d'une chute n'est pas seulement une enquête sur un meurtre, mais aussi un film qui explore avec brio la complexité et la sensibilité des relations humaines. L'œuvre de Justine Triet nous présente un labyrinthe psychologique, ajoutant une nouvelle couche de réalité à chaque scène. Le film ne se contente pas de faire réfléchir le public sur l'intrigue et les personnages, il nous invite à explorer non seulement les frontières entre coupable et innocent, mais aussi les différents aspects de la vérité.
Ä°rem Sera Böke