Le tribunal a rendu son verdict le 24 janvier 2024 : le livre Bit Palas d'Elif Åžafak comporte 5 % de similarités avec le livre Fly Palace de Mine Kırıkkanat. (un article de Clara Marque)
L'autrice Elif Åžafak, forte d'une pétition signée par 130 intellectuels, dont Orhan Pamuk, a conduit l'affaire en cour d'appel. Un procès qui s'apparente à une guerre des mots entre « similarité » et « plagiat », « monopole » et « vol de propriété intellectuelle », mais cache aussi une guerre d'idées entre deux grandes romancières de Turquie.
Des livres parallèles pour des autrices antinomiques ? Deux Beyoğlu, deux immeubles de cinq étages, deux cadres de vie souillés de puces et de poux. Fly Palace, édité par Kırmızı Kedi en 1990 et écrit par Mine Kırıkkanat, a-t-il été plagié par Elif Åžafak en 2002, à sa publication de Bit Palace par la maison d'édition Doğan Kitap ?
à€ cette époque, Mine Kırıkkanat est déjà alertée. « On m'avait prévenu. Mais à ce moment-là , je traînais déjà plusieurs procès contre l'État-major » confie-t-elle pour justifier ces 20 ans de silence. Ce n'est qu'en 2022 qu'elle entame un procès contre Elif Åžafak, « Deux amis professeurs de médecine, Mahir à–zmen et Füsun à–zmen, remarquent le plagiat et m'alertent à nouveau ». C'est le moment pour Fly Palace de sortir de la nuit. Le 24 janvier 2024, le tribunal civil des droits intellectuels et industriels d'Anatolie rend sa décision ; le titre, la structure narrative, les personnages, le décor, la cohérence chronologique ainsi que le thème vont au-delà de la simple interprétation et atteignent des niveaux de plagiat. Elif Åžafak est condamnée à verser 159 000 TL en compensation financière à Mine Kırıkkanat et son livre d'environ 400 pages, publié près de 50 fois, est pénalisé par de lourdes sanctions éditoriales.
Une sentence que refuse l'écrivaine mondialement reconnue. Une semaine plus tard, Elif Åžafak fait appel et déclare que la « procédure était basée sur une obsession personnelle et une intention malveillante », tout en intentant une action contre Mine Kırıkkanat pour dommages matériels et moraux. Cette fois, l'écrivaine est fortifiée d'une pétition de 130 intellectuels, signée notamment par Orhan Pamuk, Murathan Mungan, Yekta Kopan et Zülfü Livaneli. Ce rempart est vu par Mine Kırıkkanat comme « une tentative pour influencer et faire pression sur la cour ». La levée de boucliers pour défendre l'autrice Åžafak est aussi portée par de nombreux intellectuels s'étant réunis pour un recueil d'essais qui analysent minutieusement les deux œuvres. L'écrivain Ismail Güzelsoy y ironise : « Si je devais choisir au hasard deux livres sur une étagère, je trouverais plus de similitudes entre eux que dans ces deux livres ». Valérie Gay-Aksoy, qui s'est déjà chargée de traduire en français des oeuvres des deux autrices, juge qu' « une accusation de plagiat est totalement infondée ». Pour Mine Kırıkkanat, « celle-ci prend parti pour la maison d'édition la plus puissante. Elle n'a jamais traduit ni même lu mon livre, Fly Palace ». Cette dernière affirme être « déçue par ces intellectuels. Avec tout ce qu'ils représentent et défendent, je les méprise ». Parmi eux, Defne Suman, romancière turque installée à Athènes, soutient son amie, Elif Åžafak, mais aussi le livre qu'elle considère comme le meilleur de cette écrivaine. « Bit Palas doit rester dans le monde littéraire turc. Je peux certifier à 100% qu'il n'y a pas eu de volonté de plagiat pour ces livres. Nous n'avions jamais entendu parler de Fly Palace avant l'affaire, tandis que Bit Palace est traduit partout dans le monde. On ne parle pas de la même qualité littéraire ».
Et pourtant... Chats, cigarettes et mauvaise odeur d'Istanbul, la parenté entre les deux livres a été démontrée par un comité d'experts, relevant 5 % de similarités. « Mais d'où viennent ces 5 %, est-ce une approximation ? » questionne Defne Suman. Pour l'autrice de Fly
Palace, ces chiffres sont « sous-estimés », truqués par les jurés pour ne pas « porter préjudice matériellement et symboliquement à la maison d'édition d'Elif Åžafak ». Ce comité, engagé par la cour, était composé de trois experts. Mais cette dernière qualification est controversée. « Il semble que les personnes qui ont rédigé le rapport n'ont pas une connaissance suffisante des caractéristiques fondamentales de la littérature, de la créativité, du style, des personnages