En ce jour du 11 mars 2011, le grand auditorium de l'Université Galatasaray accueillait un invité d'exception.
Ancien ministre de la Justice, ancien président du Conseil constitutionnel, professeur de droit, écrivain, sénateur... « Un grand homme », nous avait-on dit.
« Ici commence l'Orient pour le voyageur venu d'Europe, ici commence l'Europe pour le voyageur venu d'Asie »... Le timbre si caractéristique de sa voix avait tout de suite capté le public. Des dizaines de jeunes étudiants présents dans cette immense salle étaient à lui.
Ce 11 mars où ce grand homme recevait le titre de docteur honoris causa aux bords du Bosphore, il avait fait un discours remarquable sur la laïcité. La défense de ce « bien conquis de haute lutte par des combats républicains » qu'il a prononcée dans cette ville millénaire qui s'étend sur deux continents, avait su fortement résonner dans le public qui était à l'époque témoin des trébuchements d'un pouvoir de plus en plus en dérive.
Ce grand homme s'appelait Badinter, Robert Badinter. à€ la fin de cette journée de mars, tous ces jeunes allaient retenir le nom de celui qui a, au terme d'un long combat, aboli la peine de mort en France. De sa vie, ils allaient retenir les fruits de ses années de luttes : l'irréversible abolition de la peine de mort, la suppression des juridictions d'exception, la dépénalisation de l'homosexualité, l'amélioration des droits des victimes et du régime carcéral, l'ouverture aux justiciables du recours devant la Cour européenne des droits de l'homme, et tant d'autres... Plus tard, fascinés par le destin hors du commun de cet homme, ils allaient aussi prendre connaissance des obstacles qu'il avait rencontrés dans sa vie de combats pour la justice : l'hostilité de l'opinion publique, la défiance de la police ou de la magistrature, l'insuffisance des ressources de son administration, les ignobles attaques personnelles et antisémites...
à€ chaque pas, Badinter allait réussir à forger et à défendre une conception de justice humaine et humaniste, universelle et juste. à€ la tribune du parlement où il allait affronter une droite virulente, il ne sacrifierait jamais la défense de la liberté à l'exigence de sécurité. En matière pénale, il défendrait toujours la prévention plutà´t que la répression ou le recours massif à l'emprisonnement. Il s'opposerait toujours à l'immonde équation faite entre l'immigration et la délinquance. Face à la haine, au rejet et à l'exclusion, il répondrait toujours par sa foi inébranlable dans la dignité humaine.
Lui qui avait su convaincre les parlementaires de la nécessité de l'abolition « pure et simple » de la peine de mort pour que la justice française ne soit plus « une justice qui tue », il allait encore plaider et porter son combat abolitionniste à l'international, passer des années à la tête du Conseil constitutionnel, écrire et intervenir pour faire triompher la justice, la dignité humaine et leur socle, l'État de droit.
En ce jour du 11 mars 2011, le grand auditorium de l'Université Galatasaray accueillait cet invité d'exception. Ancien ministre de la Justice, ancien président du Conseil constitutionnel, professeur de droit, écrivain, sénateur... « Un grand homme », nous avait-on dit.
Ils avaient oublié un détail capital : il était tout simplement le Victor Hugo de notre temps.
Badinter reposera avec lui, au Panthéon.
Ali Türek