Séismes en Turquie : début du premier grand procès lié à la construction des bâtiments

La Turquie, située entre les trois plaques tectoniques eurasienne, africaine et arabique, est une zone sismique bien connue. (un article de Hannah Berthomé)

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Mars 2024

Le pays est délimité à l’est par la faille principale est-anatolienne (EAF), et au nord par la faille principale nord-anatolienne (NAF), qui a rompu sur plus de 900 kilomètres par une série de séismes en cascade d’est en ouest entre 1939 et 1999. Le problème majeur lié à ces séismes est la qualité des bâtiments construits en Turquie. Ceux-ci s’effondrent à la moindre secousse violente, provoquant alors des milliers de victimes.

Le 3 janvier 2024 s’est ouvert le premier grand procès en Turquie lié à la construction des bâtiments qui se sont effondrés lors des séismes de février 2023 ayant causé plus de 50 000 morts. C’est l’hôtel Isias d’Adiyaman qui en est le principal objet. Ce bâtiment de dix étages s’est effondré lors du séisme, provoquant la mort de 72 personnes dont 24 adolescents chypriotes turcs.

Le procès se déroule dans un tribunal d’Adiyaman et, selon la presse turque, onze prévenus y comparaissent, parmi lesquels le propriétaire de l’hôtel. Ils sont accusés de « négligence consciente » lors de la supervision de la construction du bâtiment. Selon l’acte d’accusation, au moins l’un des étages de l’hôtel aurait été ajouté illégalement ; en outre, le rapport d’expertise estime que les matériaux de construction utilisés étaient de très mauvaise qualité. Ce problème est récurrent en Turquie : malgré la connaissance des risques liés à l’activité sismique des plaques anatoliennes, des promoteurs immobiliers et des constructeurs continuent de faire preuve de négligence par appât du gain. Et au non-respect des normes s’ajoutent bien d’autres problèmes : mauvais contrôle des bâtiments, coût élevé des frais de rénovation (qui ne fait l’objet d’aucune aide publique), corruption ambiante parmi les inspecteurs.

Alors que la ville d’Adiyaman a été dévastée par le tremblement de terre, l’effondrement de l’hôtel Isias avait suscité une vive émotion dans la République turque de Chypre du Nord, dont 39 des victimes étaient originaires. Il s’agissait d’adolescents et de leurs accompagnateurs venus participer à un tournoi de volleyball.

Dans les semaines suivant cette tragédie, plus de 260 personnes impliquées dans la construction de bâtiments qui se sont écroulés ont été arrêtées. Certaines d’entre elles tentaient de fuir la Turquie. Le promoteur d’un immeuble de douze étages de la ville d’Antakya, baptisé « Résidence Rönesans », dont plusieurs centaines d’habitants ont péri sous les décombres, a d’ailleurs été interpellé à l’aéroport d’Istanbul alors qu’il tentait de se rendre au Monténégro. En ce qui concerne ceux qui comparaissent à présent devant le tribunal d’Adiyaman pour l’effondrement de l’hôtel Isias, ils risquent une peine de prison pouvant dépasser les vingt ans. Outre les proches des victimes, le Premier ministre de la République autoproclamée, Ünal Üstel, était présent à l’ouverture du procès.

À la suite des tremblements de terre, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait été vivement critiqué pour sa prise de parole tardive et son désintérêt face à l’ampleur de la problématique du mauvais état des bâtiments. Il est finalement sorti politiquement indemne de cette crise en se faisant réélire quelques mois plus tard. Il a d’ailleurs imputé le grand nombre de morts aux promoteurs immobiliers corrompus qui auraient payé les inspecteurs locaux afin d’utiliser des matériaux de construction bon marché et d’ajouter illégalement des étages supplémentaires aux immeubles. Les détracteurs d’Erdogan soulignent quant à eux que la plupart des principales sociétés de construction et d’immobilier de Turquie ont noué des relations étroites avec l’AKP, au cours des 21 années que le parti a passé au pouvoir. Le gérant et le propriétaire de l’hôtel Isias seraient d’ailleurs proches du pouvoir.

Ainsi, pour les familles chypriotes, ce procès doit être exemplaire : « C’est important pour nos enfants, disent-elles, mais aussi pour la Turquie. » Une condamnation sévère des responsables d’Adiyaman pourrait alors éviter d’autres drames similaires dans le futur.

Hannah Berthomé