Filtres jaunes

Les films et séries télévisées peuvent laisser différentes traces dans l’esprit du public grâce au « monde coloré » des coloristes.

Par Dr. Gözde Kurt-Yılmaz
Publié en Mars 2024

Les palettes de couleurs et les filtres permettent, lorsqu'ils sont combinés aux images et aux sons du contenu, de transmettre au public certaines significations ainsi que des valeurs esthétiques.

Alors que les couleurs chaudes nous rappellent des temps anciens, les tons froids sont associés à la fiction actuelle ou moderne. Si l’on pense par exemple à la palette de couleurs utilisée dans le film Amélie, certaines scènes et couleurs vous viennent à l'esprit. Comme le rouge et le vert... Alors que les tons bleus froids utilisés dans les films futuristes sur l'espace et les robots symbolisent l'avancée technologique et le progressisme, lorsqu'il s'agit d'utiliser des filtres jaune-orange sale à l'opposé du bleu, il faut ouvrir une parenthèse et examiner en détail le sens que l’on veut véhiculer.

Vous avez sans doute vu un jour les filtres jaune sale des scènes de films hollywoodiens se déroulant dans certains pays. Utilisé fréquemment dans de nombreux films et séries télévisées se déroulant au Mexique, ce filtre jaune a pris le nom de « filtre mexicain ». Bien entendu, ce filtre n’est pas utilisé exclusivement pour le Mexique. L’utilisation du filtre jaune dans les séries télévisées et les films se déroulant en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie du Sud et même dans certains pays d'Europe, indique que ces pays sont présentés comme des « pays sous-développés, du tiers-monde ».

Cependant, le Mexique, qui a donné son nom au filtre, est un pays avec des plages et une gastronomie remarquables, et attire chaque année des milliers de visiteurs pour les qualités de ses habitants, de sa culture et de sa nature. De même, présenter au monde le Bosphore, où l'on peut voir toutes les nuances de bleu, avec un filtre jaune sale, et essayer d’évoquer Istanbul avec une musique traditionnelle, des scènes et des sons orientaux, conduit, avec ces couleurs et ces images, à une distorsion de bon nombre de réalités concernant la ville, le pays et son peuple. Le fait que le Bayern Munich, dans sa publication sur les réseaux sociaux précédant le match du mois dernier contre Galatasaray en Ligue des Champions, ait représenté Istanbul au moyen d’une affiche jaune-orange sale, est exactement un exemple de cette approche. Comme on le sait, l’orange est une couleur qui est exactement le contraire du bleu…

La présentation du Bosphore et de la Tour de Galata avec un filtre jaune-orange sale est un exemple de « marginalisation chromatique ». Les couleurs et les filtres des séries télévisées, des films et même des affiches déterminent où les pays seront positionnés par rapport à la frontière entre pays développés et sous-développés dans le monde réparti en Ouest, Est, Sud et Nord, ainsi que les décisions préconçues quant à la valeur à accorder à leur population. Considérons par exemple un film de guerre filtré en jaune se déroulant en Irak ou en Afghanistan. Le filtre jaune évoque non seulement la chaleur et la sécheresse, mais met aussi en avant des notions de sous-développement, pauvreté, anarchie, corruption, maladie, misère, banditisme et hostilité. Lorsque ce filtre est combiné avec l’histoire, les images et les sons ajoutés à la palette de couleurs, le récit change, les citoyens du pays en question sont dévalorisés, marginalisés, et la xénophobie peut être alimentée.

Ainsi, les habitants du pays en question prennent place dans l’esprit des spectateurs en fonction de ce qui est symbolisé par le filtre utilisé dans les films et les séries télévisées. Imaginons, par exemple, que dans diverses productions Paris soit constamment présenté au public avec un filtre jaune sale, et au moyen d’images et de sons, soit évoqué comme une ville dangereuse… C’est alors que nous pouvons comprendre que le jaune sale n’est pas seulement une couleur, mais que ce filtre jaune sale utilisé dans les séries télévisées et les films est doté d’un langage et d’une mémoire. Et pourtant, au-delà des filtres jaunes, le Mexique, Istanbul, Paris, l'Irak, l'Afghanistan et tous les autres pays sont beaux, uniques et réels, avec leurs textures, couleurs, sons et visages. Ne classifier ces villes, ces pays, tous les peuples qui y vivent et leurs cultures qu’avec le filtre jaune, montre à quel point cette gestion de la perception est discriminatoire.

Dr Gözde Kurt Yılmaz