Portrait d’un homme d’État français qui n’a pas peur d’afficher sa dissidence à propos des conflits au Moyen-Orient : Dominique de Villepin

Dominique de Villepin, homme d’État français né au Maroc en 1953, était le Premier ministre de Jacques Chirac de 2005 à 2007, et auparavant ministre des Affaires étrangères de 2002 à 2004 ainsi que ministre de l’Intérieur de 2004 à 2005 dans les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin. (un article de Hannah Berthomé)

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Février 2024

Ayant quitté la vie politique, il travaille désormais comme avocat et consultant pour des multinationales et des grandes familles du Golfe. Il est récemment revenu sur le devant de la scène suite à son intervention dans l’émission Quotidien sur TMC, où il a critiqué « la domination financière sur les médias et le monde de l’art et de la musique » qui empêcherait l’émergence de voix dissonantes dans le cadre de la guerre israélo-palestinienne. Il est depuis, accusé d’antisémitisme par ses opposants. Retour sur un parcours de vie marqué par des chapitres politiques intenses.

Une carrière aux multiples casquettes

Dominique de Villepin a été bercé dans la politique française depuis son enfance. Fils d’un industriel devenu sénateur des Français à l’étranger (Xavier Galouzeau de Villepin) et d’une magistrate (Yvonne Hétier) qui était première conseillère de tribunal administratif, il est issu d’une famille d’ancienne bourgeoisie. Parmi ses aïeux, des officiers militaires, parlementaires, diplomates, chefs d’entreprises, tous diplômés de grandes écoles françaises. Sa famille recense d’ailleurs dix-huit décorés de la Légion d’honneur depuis le XIXe siècle. Lui-même a fréquenté les bancs de Sciences Po Paris, ainsi que ceux de l’ENA (École Nationale d’Administration). Véritable poulain de la haute administration française, il étudie d’abord au lycée français de New-York, ainsi qu’au Venezuela, où il est le seul étudiant à se mobiliser lors des manifestations de Mai 1968. Diplômé du baccalauréat à seulement seize ans, il se tourne en premier lieu vers les études de droit avant de se diriger vers le service public.

En tant que véritable gaulliste, il est sensible aux idées de la « Nouvelle Société ». Il s’agit d’un projet politique d’inspiration centriste conçu par Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de Georges Pompidou, afin de répondre à la crise de Mai 68, préconisant davantage de dialogue social, une plus grande liberté d’expression et une ouverture politique. Dominique de Villepin adhère ainsi en 1977 au Rassemblement pour la République.

Dominique de Villepin est à l’origine diplomate. Après son service militaire dans la Marine, il obtient son premier poste au sein du ministère des Affaires étrangères. Il intègre la Direction des affaires africaines et malgaches où il est nommé secrétaire pour la Corne de l’Afrique. Il devient par la suite premier secrétaire à l’ambassade de France à Washington, avant d’être conseiller à l’ambassade de France à New Delhi. Sa carrière de diplomate atteint son l’apogée en devenant ministre des Affaires étrangères en 2002.

Il continue sa carrière en politique avec un passage au ministère de l’Intérieur, avant de devenir Premier ministre de Jacques Chirac. Ses ambitions n’en restent pas là : il se montre par la suite très critique envers les politiques de Nicolas Sarkozy qu’il a d’ailleurs toujours considéré comme son rival. En 2010, il lance alors un mouvement politique portant le nom de République solidaire. Il annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2012, qu’il doit rapidement abandonner faute de ne pas avoir obtenu les 500 signatures requises. Après la victoire de Nicolas Sarkozy, il affirme apporter sa contribution aux orientations de l’UMP. Il votera par la suite pour Emmanuel Macron, sans pour autant le soutenir.

Dominique de Villepin clôture cette carrière politique en prêtant serment et en devenant avocat au barreau de Paris sur dossier en 2008. Il bénéficie en effet de la recommandation de deux membres du barreau et d’une carrière juridique dans l’administration. Il ouvre par la suite son propre cabinet afin de s’occuper principalement d’affaires à caractère international.

Il se retire du barreau de Paris en 2015, ce qui lui permet d’élargir le périmètre de son entreprise Villepin International. Il passe alors du simple exercice de la profession d’avocat à une société de nature plus commerciale aux activités multiples, notamment le lobbying international. Dominique de Villepin entretien des relations étroites et un fort réseau avec la Chine, le Qatar, l’Iran, ou encore le Venezuela.

Dominique de Villepin Premier ministre

Dominique de Villepin est nommé Premier ministre de Jacques Chirac le 31 mai 2005, peu de temps après le référendum portant sur le projet de Constitution européenne. Il commence son rôle de chef du gouvernement en affirmant son intention de remettre la France en marche. Il présente un plan de relance massif. Il donne la priorité à la lutte contre le chômage, notamment chez les jeunes. Pour cela, il s’attaque à la flexibilité du marché du travail en souhaitant faire adopter le contrat nouvelles embauches (CNE) et le contrat première embauche (CPE). Ces mesures sont fortement critiquées par ses opposants qui estiment qu’elles sont des menaces pour le droit du travail. Dominique de Villepin souhaite alors avoir recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter le projet de CPE. Mais face à l’opposition massive, Jacques Chirac intervient et demande l’abandon du projet. Par ailleurs, malgré une baisse significative du chômage durant le mandat de Dominique de Villepin (le chômage est passé de 9,2% en 2004 à 8% en 2007), le CNE sera abrogé en 2008 pour cause de failles juridiques.

Son mandat est également caractérisé par une nouvelle politique industrielle et la poursuite de privatisations dans l’objectif de réduire la dette publique et de maintenir un climat de confiance avec les marchés.

Le conflit israélo-arabe : la dictature de la pensée unique aux États-Unis

Dominique de Villepin a multiplié en novembre les interventions sur la guerre qui sévit en Palestine. Invité sur le plateau de Quotidien sur TMC, il a tenu des propos qui ont fait couler beaucoup d’encre. Appelé à réagir sur le sort de certaines personnalités publiques qui ont été écartées pour avoir pris position sur le conflit israélo-palestinien, Dominique de Villepin a critiqué « la violence de la pensée unique aux États-Unis », avant d’ajouter que la France était victime de mécanismes similaires limitant « la liberté et la capacité à façonner un esprit public ». Il précise par la suite que ses propos ne sont en aucun liés au Qatar (ses liens financiers avec le Qatar sont régulièrement pointés du doigt) et qu’il « parle d’entreprises culturelles ou médiatiques qui tiennent une partie des leviers qui permettraient normalement une certaine liberté d’expression ».

Ces propos lui ont valu de vives critiques de la part de multiples observateurs et personnalités politiques. Ainsi, Éric Ciotti, président des Républicains (parti héritier de l’UMP, dont était membre Dominique de Villepin), s’est déclaré choqué, allant jusqu’à caractériser les propos de l’ancien Premier ministre de complotistes. Il a précisé « ne partager en rien l’analyse de Dominique de Villepin sur ce qui se passe au Proche-Orient aujourd’hui ». Selon ces critiques, les propos de Dominique de Villepin relèveraient d’une rhétorique antisémite…

L’homme du « non » à la guerre en Irak en Syrie

Ce n’est pas la première fois que de Villepin tient une position en matière de politique internationale qui suscite le débat. Lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, il décide de s’opposer à la guerre en Irak voulue par les États-Unis. Il prononce ainsi en 2003 un discours au Conseil de sécurité des Nations unies qui est resté dans les mémoires : « L’option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n’oublions pas qu’après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de l’Irak, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l’intrusion de la force. » Dominique de Villepin se montre très critique envers la « guerre contre le terrorisme » du président américain George W. Bush, en estimant que cette guerre doit être menée avec intelligence.

Il est à présent possible d’affirmer que Dominique de Villepin avait vu juste dans ses prédictions vis-à-vis des complications de l’après-guerre. Dans cette même continuité, il s’oppose à l’intervention militaire en Syrie. Il estime que les interventions menées successivement en Irak, en Afghanistan, en Lybie et en Syrie, alimentent un processus de haine et de destruction qui n’ira que croissant.

Hannah Berthomé.