L'élégance du passé au futur

Bonjour à tous ! Dans l'article de ce mois, focus sur une exposition que j'ai longuement visitée, et dont j’ai examiné en détail chaque vêtement et son histoire.

Par Meliha Serbes
Publié en Février 2024

Des vêtements féminins de la dernière période de l'Empire ottoman jusqu'aux premières années de la République y sont exposés. À la fin de l'exposition et à l'étage supérieur, une section est consacrée à Mustafa Kemal Atatürk.

À l'occasion des célébrations du 100e anniversaire de la République, vous voyagerez dans le temps grâce aux collections du XIXe siècle d'importants collectionneurs, comme celles de la Fondation Vehbi Koç et de Sadberk Hanım, la grand-mère d'Ömer Koç.

J'avais même l'impression de me promener dans le vieil Üsküdar, ou de marcher de Karaköy à Eminönü. Magnifique ambiance ! Le manoir historique, où sont réunies ces œuvres rares, a été bien conçu pour témoigner de notre patrimoine culturel commun et protéger nos valeurs. L'exposition est ouverte aux visiteurs gratuitement de 11 h à 19 h, jusqu'au 17 mars 2024.

Dans le hall d’entrée de l’exposition se trouvent des robes de mariée de la fin des années 1890. L'une de mes préférées est une robe de mariée en soie ayant appartenu à la fille de Ziya Azbazdar, Dilnihat Hanım. Le mariage a eu lieu à Aydın en 1890. La robe de mariée en deux pièces, en crêpe et mousseline de couleur crème, a été offerte par la famille Azbazdar en 2007. La finition et l’élégance de cette robe m’ont beaucoup impressionnée. De même pour une autre robe de mariée qui appartenait à Şehsuvar, la première épouse du calife Abdülmecid. La robe de mariée, conservée depuis 1896, est en tissu de brocart, d’une finition et d’une noblesse remarquables. Huit robes de mariée sont exposées dans la zone médiane, mais mes préférées sont les deux robes de mariée que je viens de mentionner.

Dans le vieil Istanbul, le mariage était célébré durant plusieurs jours. Généralement, la dot était envoyée le lundi, le bain nuptial avait lieu le mardi et la soirée du henné, le mercredi. Le vrai mariage était célébré le jeudi. Dans certaines familles, le lendemain du mariage, on servait aux invités de la soupe Paça (au jarret) et de la crème, et la mariée accueillait les invités avec une robe spéciale appelée Paçalık.

Auparavant, les robes de mariée étaient cousues dans des couleurs vives comme le violet et le bleu, et principalement le rouge, qui était la couleur héraldique. Sous l'influence de la mode européenne, en 1898, la fille d’Abdülmecid II, Naime Sultan, est devenue la première sultane à rompre avec la tradition en portant une robe de mariée de couleur claire en tissu blanc. Mise à part la couleur, la tenue était bien sûr conforme aux règles de la dynastie : la sultane portait une ceinture dorée et sa tête était ceinte de la couronne ottomane.

De même, Naciye Sultan, la petite-fille du sultan Abdülmecid, portait une robe de mariée blanche lors de son mariage avec Enver Pacha. À partir des années 1870, l’influence européenne marqua les couleurs des robes de mariée, et les préférences allèrent vers des couleurs claires comme le rose et le crème. Les robes de mariée avaient des jupes avec de longues traînes, et des épaules bouffantes. La broderie était réalisée avec des matériaux tels que des perles, de la dentelle et des paillettes, et était conforme à la mode ottomane.

Dans les premières années de la République, la longueur des jupes s’est raccourcie jusqu’à mi-mollet, et l’on préférait les robes de mariée aux coupes asymétriques. Les robes de mariées de style habillé ont survécu jusqu'à aujourd'hui sans grande évolution. On peut même encore voir des robes de mariée semblables aux anciennes.

En fait, l'influence de l'Europe sur la mode ne s'est pas produite immédiatement après la proclamation du Tanzimat. Le changement, qui s’était amorcé principalement au sein du palais, s’est opéré dans les familles riches. Bursa était le centre de production de soie de l’Empire ottoman. À partir du XVIIIe siècle, la proportion de soie a progressivement diminué et les soieries lourdes comme le velours, le çatma (le tissu çatma est une sorte de velours tissé selon une technique particulière avec des fils de soie et de lin) et le seraser (le tissu seraser est un tissu dont la trame est en soie, rebrodé de fils d'or et d'argent sur tous les côtés) ont été remplacées par des tissus légers dont la teneur en soie est inférieure d'un tiers.

Presque à cette époque, Paris devint le centre de la mode, et Selim III lança à Üsküdar la production de tissus en soie semblables aux tissus français, donnant ainsi l'opportunité de suivre la mode de près. Bien entendu, ces innovations suscitèrent la réaction des oulémas, des janissaires et du public, et eurent parfois peine à être adoptées. Certes, Mahmut II avait apporté diverses innovations, mais il n'a pas été facile de changer l’usage vestimentaire à cause des règles. Ce processus s'est en quelque sorte normalisé après plusieurs années, et les nouvelles pièces vestimentaires se sont diffusées lors de l'Ère des Tulipes. Aucune révolution ne s’accepte facilement, il vaut mieux s’y habituer et l’accepter progressivement.

Dans l’Empire ottoman, la mode gravitait depuis le centre. Le nombre de vêtements qui nous sont parvenus à ce jour est limité, il s'agit pour la plupart d'exemplaires du dernier quart du XVIIIe siècle. Toutefois, grâce aux registres des tailleurs, nous pouvons constater, à partir des factures et des documents des archives du palais, une nette préférence pour les tissus brodés, que les robes étaient réparées si nécessaire, et même que des robes étaient démontées et pour être transformées. Les robes brodées et en dentelle ont évolué au fil du temps avec des apports tels que des plis, des corsets et des cols. En fait, les styles ottoman et occidental étaient parfois mêlés, et une veste confectionnée par un tailleur parisien pouvait être portée par-dessus le chalwar traditionnel. Ce bouleversement dans la mode s'est atténué avec la diffusion des tailleurs européens et l'augmentation du nombre de tailleuses. La mode occidentale, répandue parmi les dames du palais et de ses environs, est adoptée par les non-musulmans, les Levantins et les personnes influentes.

De même, les guerres ont aussi affecté la mode. Pendant la guerre de Crimée, les Britanniques et les Français stationnés à Istanbul emmenaient avec eux leurs familles, ce qui influença la mode. En 1869, à Istanbul, un dîner fut offert par le sultan Abdülaziz en l'honneur de Napoléon III et de l'impératrice Eugénie, et toutes les femmes du palais, en particulier la sultane Pertevniyal, y ont assisté. Dans les annales, on lit que la sultane-mère portait une robe européenne, et que sa coiffure et de ses chaussures comportaient des détails ottomans. Alors que dans la dynastie les personnes d'un certain âge et plus s'habillaient de façon traditionnelle, les jeunes femmes commençaient à s'habiller à l’occidentale. En d’autres termes, alors que certains membres du palais préféraient s’habiller « à la turque », certains ont commencé à s’habiller « à la française ».

Et vous, si vous en aviez la possibilité, que choisiriez-vous ? À la française ou à la turque ?

Meliha Serbes