Istanbul et le souvenir de Florence Nightingale

C’est le 13 août 1910 que disparut Florence Nightingale, pionnière des soins infirmiers modernes. Son séjour à Istanbul, 169 ans auparavant, fut si déterminant qu’un groupe d’hôpitaux et une école d’infirmières y portent encore son nom aujourd’hui.

Par Gisèle Durero Köseoğlu
Publié en Août 2023

Car lorsqu’on étudie sa biographie, on découvre une personnalité de femme hors du commun qui eut le courage, à son époque, de venir jusqu’en Turquie pour réaliser son idéal.

Née dans une famille de la bourgeoisie anglaise, Florence était une jeune fille très éduquée, maîtrisant plusieurs langues mais aussi une rebelle ne supportant pas le monde auquel on la vouait : s’ennuyer dans des cours de piano, bailler sur des travaux de couture ou se parer pour se montrer dans les bals. En 1838, suite à une épidémie de grippe où elle s’occupait de ses proches, elle découvrit sa vocation : soigner les autres ! Elle écrivit dans son journal : « Dieu m’a parlé et m’a ordonné une mission ».  Mais lorsqu’elle fit part de ses aspirations à son père, pourtant épidémiologiste, ce fut un catégorique refus ! A l’époque, il était inconcevable qu’une jeune fille de bonne famille exerce dans les hôpitaux, milieu essentiellement masculin. D’autant plus que les établissements publics, infestés par le typhus et le choléra, nageaient dans la crasse et que les filles qui y travaillaient étaient considérées comme des « bonnes à tout faire ». Ce fut seulement à l’âge de trente ans que Florence osa enfin se libérer du joug familial, suivit avec assiduité les cours de l’Institut des infirmières et accéda vite au poste d’infirmière en chef au King’s College. Épouvantée par le manque d’hygiène, elle envisagea aussitôt de créer un nouveau type d’infirmière pour revaloriser ce métier.

La situation internationale la détermina à accomplir sa vocation, lorsqu’en mars 1854, éclata la guerre de Crimée, qui opposa une coalition formée par les Ottomans, les Français, les Anglais et les Italiens du Royaume de Sardaigne, à l’Empire russe. Tristement célèbre pour ses hécatombes dues aux épidémies, ce conflit, que certains historiens considèrent comme la véritable Première Guerre mondiale, causa la mort de presque huit-cent-mille hommes, parmi lesquels 95000 Français dont 26000 reposent dans l’ossuaire du cimetière latin de Feriköy, à Istanbul. Très vite, les reporters sur le front décrivirent les lamentables conditions dans lesquelles se trouvaient les blessés amenés à Constantinople. Pas de pansements, pas de couvertures, pas de récipients pour leur donner à boire. Alors, Florence prit  sa décision : malgré la réprobation de ses proches, elle s’embarqua avec trente-huit sœurs hospitalières pour Istanbul, où l’immense caserne de Selimiye, à Üsküdar, avait été transformée en hôpital militaire.

Lorsqu’elle arriva, 2300 blessés de toutes nationalités y étaient entassés dans des conditions sanitaires déplorables ; les malades dormaient sur des galetas dont on ne changeait jamais les draps et la majorité d’entre eux ne mouraient pas de leurs blessures mais des maladies infectieuses contractées dans les dortoirs. Nommée Directrice des infirmières, Florence parvint peu à peu à imposer ses conceptions, issues des nouvelles théories hygiénistes : propreté rigoureuse, lavage des mains, isolement des contagieux, aération des locaux, désinfection du linge et salubrité des aliments. Les militaires se mirent à la surnommer « la dame à la lampe », à cause des rondes de nuit qu’elle effectuait précédée de sa petite chandelle pour s’occuper de tous les blessés, sans aucune distinction. Au prix d’efforts acharnés et en dépit de crises de découragement, elle parvint enfin à faire baisser de façon spectaculaire le taux de mortalité des malades, qui, en deux ans, passa de 75 % à 5%. Grâce à son dévouement, la caserne de Selimiye fut métamorphosée en hôpital modèle pouvant accueillir dix-mille malades. Florence devint une légende, les militaires composèrent des marches en son honneur, on donna son prénom à un navire, on s’arrachait ses portraits.

A son retour en Angleterre, forte de son expérience, elle participa à la Commission royale pour la santé dans l’Armée, créa, en 1860, l’École d’infirmières et de sages-femmes et écrivit, en 1862, un manuel devenu un classique : Des soins à donner aux malades.

La ville d’Istanbul n’a pas oublié ses bienfaits. Une plaque l’honore au Mémorial d’Haydarpaşa et, dans la caserne de Selimiye, un musée conserve ses trois-cents « Lettres de Crimée » et rend hommage à celle que certains ont surnommée « la sainte Nightingale ».

Gisèle Durero-Köseoglu