Les phares de l’Empire ottoman

​Les Messageries maritimes, créées sous le nom de Messageries nationales ou maritimes en 1851, dénommées ensuite Messageries impériales, étaient une société maritime française de prestige.

Par Gözde Pamuk
Publié en Août 2023

En 1853, le général Lannes de Montebello, aide de camp de Napoléon III, rencontre dans un navire des Messageries impériales le capitaine Marius Michel de Pierredon, officier de navire né en 1819 qui avait commencé sa carrière comme mousse dans la marine nationale. Fils de Jean-Antoine Michel, ancien capitaine de la marine royale, Marius Michel a beaucoup navigué sur la ligne du Levant, donc au Proche-Orient. Il connait ainsi très bien les eaux de la Méditerranée, où il a pu remarquer que les phares font défaut.

C’est alors le début de la guerre de Crimée, et Marius Michel navigue dans la région pour y livrer du matériel. Il profite donc de son entretien avec le général de Montebello pour lui faire part du crucial problème de phares dans les eaux ottomanes, en particulier vers la Méditerranée, la mer Rouge, la mer Egée et la mer Noire.

Le général Montebello fait le nécessaire pour réguler ce problème, et le 1er août 1855, la vie du capitaine de Pierredon change : Napoléon III le nomme vice-amiral (alors qu’il n’est pas diplômé de l’Ecole navale). Marius Michel de Pierredon est alors envoyé à Constantinople pour y travailler auprès du sultan Abdülmecid Ier et lui soumettre son projet de construction de nouveaux phares dans la vaste région occupée par l’Empire ottoman. Les relations entre Napoléon III et le Sultan Abdülmecid étant bonnes, ce dernier nomme de Pierredon responsable des phares de l’Empire ottoman et lui confie toute une mission de construction.

En quelques années, de Pierredon construit plusieurs phares et se rend compte que cette mission peut lui apporter des revenus s’il y effectue des investissements personnels. Après un temps de réflexion et d’étude de marché, il propose à Camille Collas, capitaine au long cours et capitaine de la marine de guerre, de s’associer avec lui pour créer une société qui gèrera tous ces phares construits et à construire au sein de l’Empire ottoman. Collas accepte de créer la société Collas et Michel en 1860 pour gérer l’administration des phares ottomans.

Voici ce que stipulent les statuts de la société : « La Société Collas et Michel, composée de deux citoyens français et dont le siège est à Paris, obtient, le 20 août 1860, du Gouvernement impérial ottoman la concession du service des phares le long de la côte de l’Empire ottoman, en Méditerranée, dans les Dardanelles et en mer Noire, pour une période de vingt ans à compter de la construction des installations nécessaires ».

Marius Michel entre en pourparlers avec Mehmet Ali Pacha, ministre de la Marine ottomane, et Collas et Michel signent en septembre 1860 un contrat qui leur permet de toucher 78 % des recettes et des bénéfices des droits payés par les bateaux. Par le biais de cette société concessionnaire, les associés construisent 96 phares en seulement trois ans. Ce succès les amène à séjourner à Constantinople pendant des années. En 1879, le sultan Abdülhamid II accorde le titre honorable de pacha à Michel, qui sera ensuite connu sous le nom Michel Pacha. La même année, il acquiert la concession des quais de la Corne d'Or à Constantinople, ce qui lui apportera aussi d'importants revenus personnels. En 1880, le gouvernement français lui octroie le titre de chevalier de la Légion d’honneur. En 1891, Michel crée la Société́ ottomane des quais, docks et entrepôts de Constantinople. Camille Collas, de son côté, crée en 1891 la Société du chemin de fer ottoman de Jaffa à Jérusalem.

Les deux associés français ont ainsi mis à profit leur mission auprès de l’Empire ottoman pour amasser une grande fortune, en plusieurs décennies d’activités florissantes lors de leur long séjour dans l’actuelle Istanbul.

Gözde Pamuk