Calendrier

Je ne sais pas si nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, mais s’il n’y a qu’une chose dont je suis sûr, c’est que ce monde dans lequel nous vivons est en effet double.

Par Ali Türek
Publié en Juillet 2023

Il y a, d’abord, le monde que nous connaissons bien, ce monde des pays où tout n’est qu’une course contre la montre, où les années se succèdent sans qu’on n’y fasse attention.

Et puis il y en a un autre, celui où tout semble être rythmé selon la profonde insouciance des enfants. Là, tout tourne autour de cette merveilleuse invention qu’est l’année scolaire. Dans ces rares pays du monde où tout est rythmé par l’école, on trouve quelque chose de très pur, très naïf. La France en fait partie. Elle en est probablement la championne de tous les temps. 

Pour comprendre cette temporalité rythmée par le calendrier scolaire, il faut y vivre. Mes presque dix ans de résidence dans ce beau pays me l’ont bien appris. Alors qu’au début, c’était étrange, voire bien dérangeant.

Les soirées, les rues, les cinémas, les fêtes… Bref, tout ce qui était normalement censé être empli de monde se voyait, d’un seul coup et assez curieusement, se vider. Je ne comprenais pas au début. Ces dates-là ne correspondaient à rien. Puis, je voyais venir l’été, cet « invincible » été et son sommet aoûtien avec les rues de Paris désertes. Bref, quelque chose de bizarre se passait, et ce n’est que lors de mon énième mois de septembre parisien que j’ai commencé à comprendre. C’était « la rentrée » des classes. Alors, la vie reprenait son cours, les rues étaient, de nouveau, pleines de monde, effervescentes. Les programmations reprenaient, les livres sortaient, les amis rentraient. 

Depuis, j’adore ces quelques semaines parisiennes en plein été. La ville change de visage, de couleur, de rythme. Elle devient autre. Et c’est à ce moment-là que je retombe dans le rythme de cet autre monde où tout semble être rythmé selon le calendrier scolaire. Je plonge dans deux merveilles cachées de ce monde : la grammaire et les mathématiques ! J’adore me rebaigner dans l’univers infini de ces deux matières. Les variations dans une langue, ses évolutions permanentes, les nuances qu’on obtient par les mille et une tournures d’une expression, la complexité des équations mathématiques ou encore la magie de la géométrie analytique…

On pourrait voir un paradoxe entre cet amour inconditionnel et simultané de la grammaire et des mathématiques. Le premier a pour objet la langue et son objet est un outil extrêmement vivant. Des milliers de personnes la parlent chaque seconde, de nombreuses variations sociales et niveaux coexistent et évoluent constamment. Les mots, les accents, la syntaxe… Tout y change. Le second, en revanche, c’est un univers fermé, encadré, imperméable aux aléas de la vie dont les codes ont été inscrits dans la nature il y a une éternité. 

Et pourtant, ce sont deux univers semblables, parce qu’infinis, sans frontière, sans limite. Tous les deux sont composés de règles mais ne sont nullement figés. Personne, ni aucune institution ne peut vraiment les emprisonner dans des cadres avec succès. 

Les voilà, les deux univers de cette période estivale française. Pas de politique, pas de débats, pas de conflits. Mais la langue et les nombres... Tout simplement parce que les gosses ne vont pas à l’école. C’est aussi un peu cela, il me semble, la France estivale qui continue, malgré tout, dans son propre chemin, fidèle à sa tradition de pays hermétique aux vitesses du nouveau monde. Le mois d’août, c’est les vacances. Septembre, c’est la rentrée. Et c’est une nouvelle année qui commence. C’est une belle insouciance. 

Ali Türek