Tarihçi Kitabevi, l'unique librairie de Moda et l'unique librairie d'histoire en Turquie

Necip Azakoğlu, propriétaire de l'enseigne (Tarihçi Kitabevi) et « amateur d'histoire », évoque pour nous la situation des maisons d'édition en Turquie

Par Aujourd'hui la Turquie
Publié en Juillet 2023

Quelle est la situation de l'édition en Turquie aujourd'hui ? Y a-t-il eu de grands changements après la pandémie ?

J'entends des gens autour de moi dire que les maisons d'édition sont en difficulté. Certaines maisons d'édition, dont vous n'auriez jamais pensé qu'elles imprimeraient des livres à  compte d'auteur, ont maintenant commencé à  exiger de l'argent de diverses sources. Bien sûr, cela présente beaucoup de difficultés, les principaux distributeurs ont également fait faillite plusieurs fois de suite. Tout cela est révélateur d'un énorme problème. Le prix du papier a beaucoup augmenté, entraînant des mouvements spéculatifs importants. Les importateurs conservent les livres dans leurs entrepà´ts et les ressortent ensuite quand ils le souhaitent... Et tout dans l'impression est importé, même l'encre ! Malheureusement, il n'y a aucun soutien, public ou autre, pour le marché du livre, sauf pour certaines institutions.

Publiez-vous toujours aujourd'hui ?

J'avais 13 projets au moment des dernières augmentations de prix, dont certains exceptionnels. J'ai dû tous les rendre. Heureusement, nous venons de publier le livre du professeur Salih à–zbaran, Osmanlı Aidiyetleri ve Türk Kimliği, sur notre passé et l'Empire ottoman. Il traite d'un sujet de discussion intemporel en Turquie : l'Ottoman est-il turc ? En ce moment, j'ai aussi le livre de Murat Kadıoğlu sur la création de l'opéra turc de 1936 à  1941, un sujet que je ne connaissais pas du tout. Depuis que j'ai 17 ans, je lis beaucoup, mais la vraie beauté de ce métier, c'est que j'apprends sans cesse...

Le nombre d'auteurs a-t-il augmenté ces derniers temps ?

Il a beaucoup augmenté, à  croire qu'il y a plus d'écrivains que de lecteurs en Turquie ! Tout le monde écrit, personne ne lit. Mais les auteurs ont augmenté en quantité, moins en qualité. J'ai de très rares coups de cœur, le reste me semble superficiel. Les potentiels lecteurs n'ont pas cette curiosité d'en apprendre plus. J'ai publié un livre intitulé Le rêve anatolien de la Grèce, écrit par un historien britannique sur tous les événements de cette période. Mais personne ne se demandait à  quoi pensait la Grèce lorsqu'elle est entrée en Anatolie en 1919, et donc personne ne l'a lu.

Maintenant, on peut considérer Tarihçi Kitabevi comme une école. On publie des livres sérieux, mais il faut les vendre, il faut les lire et éveiller la curiosité, ce qui arrive rarement. Par exemple, L'impà´t sur la fortune de Cahit Kayra a fait l'objet de débats dans la presse, c'est pourquoi il a eu 8 éditions. Mais ce sont des situations très rares.

Compte tenu de l'excellence de votre travail, avez-vous eu le soutien du ministère de la Culture et/ou de la Société d'Histoire turque ?

Le ministère de la Culture octroie son soutien occasionnellement. Nous postulons deux fois par an, ils commandent nos publications pour les distribuer dans les bibliothèques. C'est une contribution, après tout. Mais je regrette que le secteur de l'éducation soit en retrait, par exemple que professeurs ne lisent pas et qu'ils ne donnent pas l'exemple à  leurs élèves. Nous, nous ne pouvons pas créer seuls cette curiosité.

Comment voyez-vous l'avenir ?

La bibliothéconomie finira probablement, tout comme le journalisme. En d'autres termes, je pense qu'il y aura des livres très rares et qui auront une valeur de collection, car il n'y a presque plus de lecteurs. Tout le monde s'informe sur internet sans aucun discernement. La Turquie est malheureusement un pays faible en termes de partage de connaissances et d'informations. Je n'arrive pas à  comprendre comment les jeunes sont éduqués. En discutant avec des étudiants en 3e année à  l'université, j'ai constaté qu'ils n'avaient jamais entendu parler de Kenan Evren, par exemple. Je ne sais pas comment cela peut être évité. La culture se crée par la lecture. Cela ne se fait pas sans être nourri, ou alors vous êtes seul et devez agir. Tout comme cette librairie qui m'a permis d'élargir mon cercle d'amis à  beaucoup plus d'intellectuels.

Zeynep Demirci