Reis Çelik : entre film et documentaire, pour nous offrir le meilleur, par Zeynep Demirci

Reis Çelik est né en 1961 à Ardahan. Après ses études secondaires, il part étudier la musique et le théâtre au Conservatoire d'Istanbul. Il débute dans le journalisme en 1982 en tant que journaliste économique et politique.

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Juillet 2023

Plus tard, Çelik commence à tourner des films documentaires, des publicités et films de campagne politique pour diverses organisations. Il a réalisé 12 documentaires et son premier long métrage, Lights Go Out. Rencontre.

Pouvez-vous vous présenter ?

En fait, je suis né en 1974, à 13 ans. Je vivais à Ardahan, j’allais aux cours à pied, mais je voulais aller à Istanbul et devenir journaliste. Je récoltais les journaux que je trouvais pour en faire un livre. À 13 ans, je suis arrivé chez ma tante Nadia à Istanbul au terme d’un voyage de 36 heures. Istanbul n’était pas le rêve que l’on nous vendait dans les films. Il pleuvait des cordes et je m’étais dit à ce moment-là que j’allais retourner chez moi…

J’ai commencé par travailler dans une imprimerie, ce qui m’a ouvert au monde de l’écriture et du journalisme. En 1980, mes activités politiques étaient à son paroxysme et à 19 ans, je me suis retrouvé en prison.

Après ma sortie, j’ai été livreur de journaux pour le journal Dünya. En même temps, je prenais des photos et j’ai été repéré, puis je me suis retrouvé au journal Günaydın de 1982 jusqu’à sa fermeture. C’est là qu’a réellement commencé ma carrière de journaliste, en tant que journaliste de terrain : j’ai couvert pendant des années la guerre Iran-Irak. Après avoir créé ATV, je voulais un département dans la chaîne afin de pouvoir faire les films que je voulais, mais ça ne s’est pas réalisé. J’ai donc coupé tout lien avec ces medias pour me concentrer sur les films.

Quand j’ai quitté le journalisme, je n’avais pas réfléchi au moyen de subvenir aux besoins de ma famille, je ne voulais juste plus faire partie de ce monde-là. Dès mon arrivée à Istanbul à l’âge de 13 ans, j’avais compris les enjeux du monde professionnel. Je travaillais le jour et étudiais la nuit pour décrocher mon diplôme au Conservatoire national, et j’ai réussi. J’ai quitté le métier de journaliste pour ne pas avoir de retrait sur ce que je peux dire et m’exprimer avec mes films, mais ces derniers ont encore plus fait polémique… C’est allé jusqu'au contrôle des spectateurs à l’entrée des cinémas pour certains de mes films !

Que vous a apporté le journalisme ?

Le journalisme m’a beaucoup apporté : avant tout, j'ai vu et reconnu ce que sont les modes de vie des hommes, les métiers et leur réalité. Si le spectateur voit une scène dans un film et se dit : « C’est donc ça la vie d’un menuisier ? », c'est le journalisme qui nous l’a enseigné. Être sur le champ de bataille, dans l'environnement rural, dans les lieux de divertissement, être dans et hors de tous les domaines m’a formé à comprendre ces couleurs de la vie, et à les insérer dans les films sociologiquement et philosophiquement en arrière-plan.

C'est pourquoi mes films sont considérés comme très réalistes et semi-documentaires. Je suis attiré par la réalité de la vie, par l'existant sans utopie. Grâce à cela, j'ai tourné en toute confiance İnat Hikayeleri sans scénario et sans équipe : je sais prendre des photos, je connais les appareils, je sais parler aux villageois, je sais comment les villageois peuvent agir. Mais c'est grâce au journalisme et à la photographie que j’ai cette confiance-là.

Comment la photographie vous a-t-elle aidé dans votre carrière de réalisateur ?

Le plus gros avantage est que quoi que je raconte, mes films ont toujours une vision photographique, parce que je regarde tout avec cette vision. Je sais par la photographie : corriger la lumière, la logique, l'expression d'un visage… La photo est basée sur le concept de prendre de belles photos de ce que votre visage signifie pour vous.

Comment avez-vous maintenu la limite entre film et documentaire ?

Le documentaire pour moi a commencé avec le journalisme, que je n’arrive pas à mettre de côté. Parce que je veux raconter une histoire qui doit être racontée avec un langage cinématographique en rapprochant la réalité du cinéma. En même temps, je veux décrire un film de manière réaliste en le rapprochant d'un documentaire. J'ai aussi un côté narratif que j'applique aussi bien au documentaire qu'au cinéma. Au fur et à mesure que le film avance, je peux ajouter une dimension rêve dans une histoire esthétiquement réaliste.

Le cinéma est plus fictif, mais je le fais sans m'éloigner de la vérité. Quant au documentaire, je présente l'existant en mettant en place quelques photographies, sous un angle différent et avec des documents à filmer. Peut-être pourrions-nous donner un nouveau nom à mes films où les deux genres se rapprochent tant l'un de l'autre que ce seraient des films-documentaires…

Y a-t-il un de vos films que vous pouvez considérer comme le sommet ou le tournant de votre carrière ?

C’est compliqué, mais les deux films dont je vous ai parlé, Işıklar sönmesin et Hoşçakal Yarın, relatent l'envie de dire les choses que j'ai gardées en moi et qui sont la conséquence d’une certaine période politique dans le pays, mais aussi d’un contexte sociologique dans lequel j'ai passé une grande partie de ma jeunesse.

Dans Lal Gece, par exemple, je me suis demandé comment je pouvais créer une réalité basée sur sa propre légende. Tous les films ont une dimension différente et une signification différente pour moi. J'ai tant de sujets à problèmes en moi, et je veux tous les exprimer…

Y a-t-il des films précis qui vous ont poussé à vouloir faire du cinéma ?

Ce qui m’a fait dire « je devrais faire des films » est un processus très important pour moi. J'étais très curieux, je regardais des films, j'allais dans des cinémathèques, mais je ne les regardais pas en ayant à l’esprit de devenir réalisateur de film, c’était juste pour regarder et voir. Un jour, quand j’étais journaliste, j'ai regardé un film de Fellini ; je les regardais tous, mais quand j'ai regardé Amarcord, je me suis dit : « Ça correspond au style et à la forme de ce que je veux raconter. »

Après, j’ai vu un film des frères Taviani qui s'appelle Kaos et à ce moment-là, j’ai été réellement subjugué. Puis j’ai vu un film tiré du livre Il fut un blanc navire de Tchinguiz Aitmatov. C’est à ce moment-là que je me suis dit : « Je vais faire du cinéma. » C’est leur façon de raconter différente qui m’a attiré. J’avais seulement une vingtaine d’années à ce moment-là.

Pensez-vous qu’avec les nouveaux médias le cinéma va mourir ?

Tant que l’humanité existe, je ne crois pas que le théâtre et le cinéma vont totalement disparaître. Je ne m'identifie à aucune religion tout en en connaissant tout, et même si le monde entier devient communiste, personne ne peut empêcher les hommes de vouloir se réunir, c’est naturel. Lorsque la télévision est arrivée dans nos vies, on nous a dit la même chose, que le cinéma était fini. Au bout d’un moment, on a vu que les gens ont besoin de regarder et ressentir ensemble pour pouvoir en parler. 

Quels sont vos projets ?

Lal Gece qui a eu plus de 40 prix à l’international, fait partie d’une trilogie. Les suites sont censées être Kör Gece et Sağır Gece. Je vais filmer le 2e volet de cette trilogie qui se passe également en une nuit mais dans un environnement plus clos que celui de Lal Gece. La nuit en question est celle du coup d’État du 12 septembre 1980. C’est biographique puisque l’histoire raconte comment je me suis réfugié derrière une colonne de chantier… Le rôle sera ici joué par une femme.

Zeynep Demirci