Kenizé Mourad : casser l’idée de la « femme musulmane soumise » par l’écriture

​Le 13 juin dernier, à l’initiative du Consulat général de France à Istanbul, de l’Institut français de Turquie et en partenariat avec Istanbul Accueil, le Palais de France a accueilli Kenizé Mourad, écrivaine, journaliste et arrière-petite-fille du sultan Mourad V, pour une rencontre littéraire. Elle nous a parlé de son dernier roman, « Dans la ville d’or et d’argent ».

Par Aujourd’hui la Turquie
Publié en Juillet 2023

Commençons par un résumé apéritif. La Compagnie anglaise des Indes orientales décide de s’emparer d’Awadh et d'exiler son souverain, ce qui provoque un soulèvement populaire. À sa tête, Hazrat Mahal, quatrième épouse du roi, épaulée par le rajah Jai Lal et des cipayes, soldats indiens de l'armée britannique ralliés à sa cause. Lucknow, la capitale du royaume appelée la « Ville d'Or et d'Argent », est le foyer de cette première guerre nationale. Peu à peu, l'embrasement se généralise et deux années durant, Hazrat Mahal sera l'âme de cette révolte. Vaste fresque historique sur fond de passion amoureuse entre Hazrat Mahal et l'intrépide Jai Lal, Dans la ville d'or et d'argent relate un pan de l’histoire peu connu, et surtout le destin d'une femme héroïque et méconnue qui, la première, traça la voie de la libération des Indes.

Le nom du roman, nous explique Kenizé Mourad, est tiré des deux fleuves qui traversent la région d’Awadh : l’un est appelé Or, l’autre Argent. Ces deux cours d'eau sont le cadre de la cohabitation sans problèmes des Indiens et des musulmans. Mourad entreprend des recherches sur son l’héroïne, Hazrat Mahal, mais ne trouve que très peu d’informations. Elle décide donc d’aller voir les vieilles familles de Lucknow (dont la sienne), qui avaient combattu les Anglais, et peut ainsi recueillir les informations nécessaires sur Hazrat Mahal

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Kenizé Mourad voulait raconter cette histoire, mais pas simplement parce que c’est une histoire extraordinaire. Elle nous explique : « J’écris des livres pour faire passer des messages : les gens vivaient ensemble sans problèmes jusque-là, mais la politique est venue déranger cette cohabitation heureuse. Pour celui-ci, je voudrais préciser que tous les faits relatés sont véridiques, mais je voulais utiliser le format de roman afin de pouvoir moi-même faire vivre ses personnages, avec la liberté d’avoir raconté une histoire d’amour supposée entre Begüm Hasret Mahal et son général. »

Car le but premier de l’écrivaine, dit-elle, est de montrer toute la force des femmes musulmanes, et ce quels que soient les choix qu’elles font. Elle veut casser cette idée de femme musulmane opprimée : si elles le sont souvent, et seulement dans les milieux défavorisés, cela n’a aucun lien avec la religion. Pour elle, ce préjugé vient du fait que ces femmes s’expriment de façon plus douce que les femmes occidentales, tout en étant plus fortes qu’elles.

C’est ainsi que l'héroïne, musulmane pratiquante, a réussi à commander une armée qui ne l’était pas : non pas par sa beauté, mais plutôt par son talent de poétesse. Elle est devenue la quatrième épouse du roi et lorsque les Anglais ont exilé ce dernier, le fils de cette union est devenu le symbole de ce mouvement.

Kenizé Mourad a ajouté des détails historiques à son ouvrage, comme une lettre du vice-roi des Indes de l’époque qui dit : « Il faut réécrire les livres d’histoire pour montrer que les musulmans tuent les Indiens et que les Indiens tuent les musulmans. » En 90 ans, les Anglais ont réussi à monter ces deux groupes entre eux… 

On continue à répéter les mêmes erreurs. En 1857, la fin d’Awadh a été programmée pour les richesses de cet État, comme de nos jours l’Irak, son pétrole et Saddam Hussein. On a déclaré ce dernier dictateur et crié qu'il fallait amener la démocratie, ce qui était ridicule : pourquoi donc n’ont-ils pas fait la même chose avec l’Arabie saoudite, qui était dans une plus mauvaise posture ?

Les mauvaises excuses qui ont poussé à la destruction du Moyen-Orient ont touché des milliers de personnes, mais ont aussi provoqué la création de mouvements terroristes mus au départ par la haine anti-américaine. Ce roman, conclut Kénizé Mourad, essaye de nous montrer tout cela afin d’éviter un recommencement historique.

La rencontre a été suivie d’une séance de vente et de dédicace des romans de l’autrice. Les bénéfices de ces ventes seront reversés à la Fondation Füsun Sayek, qui œuvre au profit des zones sinistrées par les séismes en Turquie.

Zeynep Demirci