Journalistes hors limites

​Avec la victoire du président du parti AKP, Recep Tayyip Erdoğan, les journalistes et les principaux présentateurs d'informations de certaines chaînes de télévision qui critiquent le candidat CHP Kemal Kılıçdaroğlu sont allés, en commentant les résultats des élections, bien au-delà de dire « il y a eu fraude ».

Par Dr. Hüseyin Latif
Publié en Juillet 2023

Avec la victoire du président du parti AKP, Recep Tayyip Erdoğan, les journalistes et les principaux présentateurs d'informations de certaines chaînes de télévision qui critiquent le candidat CHP Kemal Kılıçdaroğlu sont allés, en commentant les résultats des élections, bien au-delà de dire « il y a eu fraude ». Des propos tels que « Mettez un pot de fleurs et il obtiendra aussi 48 % » [1]  ; « Bâtez un âne et s'il ne fait rien, il obtiendra plus de votes » [2] ne peuvent être ceux d’un journaliste ! En fait, le plus gros problème qui a fait perdre les élections à l'opposition découlait du fait que certains journalistes pro-opposition (!) agissaient en fait comme des membres actifs des partis adverses.

Pendant ce temps, les diplomates occidentaux et la presse qui se disait indépendante proclamaient que l'Alliance nationale gagnerait avec une marge large, et qualifiaient le chef du Parti de la Patrie, Muharrem İnce, de traître à la patrie.

Il est clair que ces journalistes, qui acceptent aveuglément et sans aucune réserve les résultats d'enquêtes et les commentaires des sociétés de sondage insuffisamment informées et expérimentées, et plus encore, vont au-delà dans leurs commentaires, ont également une part dans les résultats obtenus par l'opposition. [3]

Il n'y a pas d'élection volée. Car il y a une grande similitude entre les résultats des deux dernières élections présidentielles et du référendum. L’opposition devrait dire : « Ils n'ont pas volé les élections, nous avons perdu. » Cependant, cet échec de l’opposition n'est pas imputable qu'à Kılıçdaroğlu. Ils ont tous perdu, sans exception. L'échec relève donc de leur responsabilité commune. En somme, il est très clair qu'Ekrem İmamoğlu, qui est sorti le lendemain de l'élection en criant « changement, changement », a lui aussi échoué. Il essaie juste de dissimuler son propre échec par ses clameurs. Il veut s'emparer de la présidence du CHP au plus vite. Bien sûr, les « journalistes » dont nous venons de parler vantent pour une raison ou une autre le succès d’İmamoğlu… [4]

Après l'élection, ces journalistes se cherchent une nouvelle issue en imputant cet échec à Kemal Kılıçdaroğlu, au lieu de dire : « Nous avons subi un échec commun, nous n'avons pas émis les alertes nécessaires, nous n’avons pas tenu compte des oppositions. » Ceux qui aujourd’hui poursuivent de nouvelles attentes en élevant la voix sont précisément ceux qui avaient des attentes ce jour-là.

Dans mes cours, je donne souvent à mes étudiants l'exemple des « Éléphants » du Parti Socialiste français. Les éléphants du PS piétinent toujours en troupeau, mais en allant au congrès, ils arrivent tous en bon ordre et s’asseyent toujours au premier rang, côte à côte même. Il n’est jamais venu à l’idée de personne de placer quelqu'un près des toilettes !  [5]

Venons-en maintenant à la facture de l'élection pour le CHP.

Kılıçdaroğlu a joué un « pari politique » avec l'Alliance nationale et a perdu.

Le CHP a fondu au Parlement : de 146 députés, on est tombé à 130. Des millions de personnes qui veulent protéger la Turquie moderne sont malheureuses et sans espoir. Ceux qui n'ont pas clamé « Atatürk et la laïcité » pour dire « N'offensons pas les conservateurs » ont fait une grosse erreur.

Les anciens membres de l'AKP et les membres des petits partis élus sur les listes du CHP ont remporté 39 sièges sans mener aucune campagne. À la suite de l'élection, l'Alliance nationale s'est largement désintégrée. On peut même dire que cette désintégration s'est produite à la suite du 1er tour des élections présidentielles. Les partis DEVA (de la Démocratie et du Progrès), Gelecek (du Futur), Saadet (de la Félicité) et le Parti démocrate se sont assis à la table de négociation pour établir un groupe à la Grande Assemblée nationale turque. Pour résumer, les militants du parti et les électeurs qui ont œuvré depuis années pour le CHP sont en colère et plein de rancœur.

Quant aux gagnants, ce sont d'anciens membres de l'AKP : Ali Babacan (DEVA, 15 députés), Ahmet Davutoğlu (Parti du Futur, 10 députés), Temel Karamollaoğlu (Parti de la Félicité, 10 députés), Gültekin Uysal (3 députés).

Si l'on ajoute à cela les 322 députés élus de l'Alliance populaire, vous obtenez au parlement 361 sièges qui permettent de tenir confortablement un référendum. Car selon la Constitution de la République de Turquie, les voix de 360 ​​députés constituent la majorité de référendum requise pour modifier la Constitution.

En résumé, si le président Erdoğan veut une modification de la Constitution, il aura besoin des voix de ces 38 anciens députés du parti AKP pour la soumettre à référendum.

Cela étant, deux des questions des plus vitales commencent à être débattues : le nouveau marchandage portera-t-il sur les quatre premiers articles de la Constitution ? Ceux qui rompent avec l'Alliance nationale soutiendront-ils Erdoğan pour le référendum ?

Dr Hüseyin Latif


[1] https://www.gazeteduvar.com.tr/fatih-altaylidan-kilicdarogluna-saksiyi-koysaniz-o-yuzde-48i-alirdi-haber-1621812 (Fatih Altaylı).

[2] İdem.

[3] On constate entre les journalistes et les commentateurs. Fatih Portakal, İsmail Saymaz, Prof. Ersen Şen ve Bedri Baykam.

[4] Değişim.

[5] Un éléphant est une expression qui désigne un cadre dirigeant connu, influent et ancien du Parti socialiste français. C'est en général un homme d'appareil. L'expression remonte à 1973, lorsque, au congrès de Grenoble, un militant aurait dit à un journaliste : « voilà les éléphants qui vont se réunir » (Wikipédia). https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89l%C3%A9phant_du_Parti_socialiste